Rupture de relations commerciales etablies et pratiques de l'appel d'offre

Par Anne-Sophie Poggi, Avocat Associé et Céline Zocchetto, Avocat - Derriennic Associés

Les tribunaux français sont souvent amenés à statuer sur des ruptures de relations commerciales établies. Bien souvent, on leur demande d'apprécier la période de préavis eu égard à la durée de la relation commerciale et d'en apprécier le poids financier dans le chiffre d'affaires de la partie victime ou de déterminer l'indemnisation du préjudice du fait de la rupture. Plus souvent encore, les tribunaux se penchent sur la notion même de «relation commerciale établie». C'est de là, en effet, que tout découle ! Le principe est, faut-il le rappeler, que : «Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait [...] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale ...» Article L. 442-6 alinéa 5ème du Code de Commerce Le législateur a, semble-t-il, voulu condamner toute rupture préjudiciable de relations commerciales ayant une certaine durée, c'est-à-dire lorsqu'une partie agit de mauvaise foi, sans motif légitime, unilatéralement et brusquement, alors qu'elle a laissé se créer chez son partenaire une confiance dans la conclusion ou le renouvellement d'un contrat. Or, pour que la rupture brutale de relations commerciales établies soit sanctionnée, encore faut-il que la preuve de leur caractère stable, suivi et habituel, soit rapportée. Au fil des années, la jurisprudence a développé une conception large de la notion de «relation commerciale établie» ; il s'agit, en effet, de toute relation, que celle-ci soit précontractuelle, contractuelle, post-contractuelle, peu importe qu'un contrat ait été conclu pour une durée déterminée. En d'autres termes, la «relation établie» se distingue de la notion même de relation commerciale. C'est dans ce contexte jurisprudentiel que la Cour d'Appel de Versailles a eu à trancher la question de savoir si une relation distributeur/fournisseur organisée par des contrats successifs systématiquement précédés d'appel d'offres pouvait être qualifiée de «relation commerciale établie». Sa position est sévère. En effet, dans son arrêt du 18 septembre 2008, la Cour d'Appel a considéré que dans la mesure où un distributeur lançait systématiquement un appel d'offres avant chaque ouverture de chantier, la relation qu'il entretenait avec une entreprise, qui réalisait pour lui des prestations d'électricité depuis plusieurs années, n'était pas une relation commerciale établie (12ème chambre - n°08/319). Pour justifier une telle décision, la Cour d'Appel a jugé que la mise en compétition de concurrents privait la relation de toute notion de «permanence». Les relations placées sous le signe de la précarité n'avaient pas, selon elle, d'avenir certain. Ainsi, les conditions de stabilité, de permanence des relations ne seraient pas remplies. Cette même Cour avait, dans un passé proche, déjà rendu une décision annonciatrice de sa position présente, considérant que «le recours à une mise en compétition avec des concurrents, avant la commande de chacune des missions semestrielles, privait les relations commerciales de toute permanence garantie et les plaçait dans une perspective de précarité certaine qui ne permettait pas à X de penser qu'elles avaient un avenir» (Cour d'Appel de Versailles 12ème chambre, 24 mars 2005 - RG/0308306). Pourtant, la Cour d'Appel de Versailles avait, par la suite, considéré dans une décision du 12 juin 2008, que la qualification de relations commerciales «établies» n'est pas conditionnée par «l'existence d'un échange permanent et continu entre les parties» (12ème chambre - n°081229). La position actuelle de la Cour d'Appel de Versailles est pour le moins surprenante car elle privilégie la forme sur le fond. En effet, en pratique, la plupart des relations habituelles et continues entre distributeurs/fournisseurs sont jalonnées par des appels d'offres systématiques. Pourtant le dernier arrêt de la Cour d'Appel semble être confirmé par une décision récente de la Cour de Cassation, du 16 décembre 2008, qui vient durcir également l'appréciation du caractère établi des relations commerciales. Après avoir constaté une indépendance des contrats intervenant en fonction de l'ouverture des chantiers, en l'absence d'accord cadre, la Cour de Cassation en a déduit une absence de relation commerciale établie (Ch. Com pourvoi 07-15.589). Il n'en reste pas moins qu'il serait préjudiciable d'écarter l'application des dispositions du Code de Commerce, en faisant fi de la nature pérenne des relations commerciales pour la simple raison qu'un appel d'offres est lancé avant la conclusion ou le renouvellement de chaque contrat. Une telle appréciation laisserait ouverte la voie à tous les excès. Ainsi pour contourner les dispositions de l'article L. 442-6 alinéa 5ème du Code de Commerce, il suffirait aux entreprises de passer des appels d'offre et ainsi éviter de voir qualifier la relation de «relation établie» et pouvoir la rompre sans payer d'indemnité. Une attention particulière devra être prêtée aux décisions à venir en la matière. Anne-Sophie Poggi a fondé avec Jean-Noël Derriennic la SCP Derriennic Associés en 1994. Avocat depuis 1992, elle s'est spécialisée, dans les procédures contentieuses et les expertises judiciaires dans le domaine des technologies de l'information. Céline Zocchetto est diplômée d'un DESS en droit des affaires internationales. Elle intervient au sein du département 'droit des affaires', tant en conseil qu'en contentieux.

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