Avec la mise en place du confinement pour limiter la propagation du Covid-19, l'usage des solutions de vidéoconférence a pris une toute nouvelle ampleur en France. Un acteur, Zoom en l'occurrence, a été particulièrement à la pointe de ce mouvement avec une plate-forme complète et facile à utiliser, ce qui n'a pas manqué de poser des problèmes de sécurité. Pour faire le point sur les dernières semaines, nous vous proposons un entretien avec Loïc Rousseau, directeur de Zoom France.
Ma première question porte sur la progression du télétravail en France avec le confinement imposé par la pandémie 19 qui a entraîné un développement des outils collaboratifs et de visioconférence. Quel est l'impact pour Zoom en termes d'utilisateurs et de connexions, en distinguant les utilisateurs gratuits et payants ?
Loïc Rousseau : Effectivement le télétravail s'est développé fortement en France et nous avons connu de par le monde un accroissement du nombre d'utilisateurs et un accroissement du nombre de minutes très conséquent. Nous ne pouvons pas donner de chiffres actuellement puisque nous sommes dans une période qu'on appelle la période courte. Nous avions 10 millions d'utilisateurs journaliers et nous sommes confrontés à des pics à 200 millions d'utilisateurs journaliers. C'est un nombre sans précédent de connexions et d'utilisateurs nouveaux sur la plateforme.
200 millions dans le monde, mais quels sont les chiffres pour la France ?
Dans le monde, oui. Nous n'avons pas les chiffres pour la France. De manière spécifique, je n'ai pas de chiffres à vous communiquer. En ce qui concerne la France particulièrement, je peux vous dire que nous sommes quatre à cinq fois plus en termes d'utilisation. Au niveau du marché français, et notamment quand on a vu que des mesures ont été prises pour fermer les établissements scolaires, nous avons retiré la limitation des 40 minutes pour permettre aux étudiants de pouvoir continuer à faire leurs cours avec les professeurs. Nous avons vu un pic d'utilisateurs.
Ces dernières semaines, vous avez connu des problèmes de sécurité. Quelles sont aujourd'hui les mesures prises pour renforcer votre plateforme et restaurer la confiance des utilisateurs ?
Effectivement, nous avons eu des retours sur certaines failles de sécurité concernant notre plateforme. Ce qui est à noter, c'est que la sécurité et le respect de la vie privée de nos utilisateurs sont un des fondements pour Zoom. C'est vraiment une priorité pour les 90 prochains jours. Ça a déjà commencé puisque nous nous sommes penchés dès le début sur ces faits. Nous allons mettre toute notre énergie pour répondre à ce problème et améliorer la sécurité, nous assurer que la sécurité soit zéro défaut sur la plateforme, où, il est à noter, la première faille a porté sur le SDK de Facebook. Nous y avons répondu en 24 heures et nous avons supprimé cette fonctionnalité puisque nous nous sommes aperçus en toute honnêteté que Facebook pouvait collecter des données de nos utilisateurs, sur iOS uniquement. Ce genre de choses nous a été remonté de manière un peu bizarre via la presse. Vous êtes bien placés pour connaître la façon dont fonctionne le software. Vous avez un bug bounty, le codeur cherche une faille, il informe la société qui publie le correctif et ensuite vous êtes informés. Bizarrement là, nous avons vécu une semaine où nous apprenions les failles par des articles dans la presse. Donc nous n'avons pas bien compris la façon dont ça fonctionnait et quelque chose nous échappait. Nous vivons une crise sanitaire mondiale sans précédent et nous avons vécu un bashing sans précédent. En plus, nous ne pensions pas que ça fonctionnait comme ça. Donc apparemment, ça fonctionne différemment maintenant, et nous avons pris les mesures qui s'imposaient. Nous avons retiré ce SDK en 24 heures et nous continuons à travailler sur la sécurité.
Autre interrogation sur la sécurité et les données des 530 000 comptes Zoom qui sont en vente sur le Dark Web. Ce qui n'est pas vraiment bon en termes d'image. Et comment, comptez-vous sensibiliser les utilisateurs quant à la circulation de leur login et de leur mot de passe ?
Nous avons répondu hier soir à ce problème. Eric Yuan, le fondateur de Zoom, a mis en place un webinar hebdomadaire qui a lieu tous les mercredis, et il a répondu à votre question le 15 avril dernier. Il indiquait que ça arrivait à de nombreux softwares sur lesquels il y a des clients qui s'inscrivent pour une démo. Les 530 000 comptes qui ont été utilisés par le Dark Web ne sont plus utilisés et n'ont pas été mis à jour. Nous allons les supprimer immédiatement, ils vont être désactivés.
D'autres mesures sont-elles envisageables comme l'authentification à deux facteurs ou le recours à des services spécialisés ou grand public comme Sign in with Apple ou Google ?
Oui, nous avons déjà un système d'authentification à deux facteurs, tout comme le support de Sign in with Google. Pour le nouveau service Apple, je n'ai pas cette information mais je le note et je reviendrai vers vous avec cette réponse.
Beaucoup d'entreprises françaises dont certaines banques ont fini par interdire l'utilisation des outils comme Zoom. Comment comptez-vous les convaincre de revenir sur leurs positions ?
Je n'ai pas eu vent forcément de certaines banques qui auraient donné ce mot d'ordre. Mais si vous avez quelques exemples je serais ravi de les contacter et d'aller les rencontrer. Mais alors si je prends l'exemple du système bancaire, ils privilégient des solutions on-premise. Donc en mode serveur plutôt que les solutions sur le cloud, ça c'est inhérent à n'importe quelle plateforme de vidéoconférence. On est beaucoup plus sur le cloud maintenant, c'est la mouvance, mais on voit que ça commence à bouger. Nous n'avions pas à proprement dit de contrat signé avec une grande banque française, sauf que depuis la situation de confinement que l'on vit depuis mars, une banque française nous a contacté et nous a demandé des comptes utilisateurs avec un accord de confidentialité comme on le fait avec n'importe quel client désirant étudier notre plateforme. Ils ont eu accès à notre sécurité et malgré le bruit qu'il y a eu ces dernières semaines, ils ont été rassurés. Ça parait logique puisque l'on fonctionne en toute transparence. Tout va bien donc. Bizarrement, avant la situation actuelle, je n'avais pas de réel projet engagé avec des entreprises bancaires françaises et là, maintenant un client est venu nous rencontrer pour mettre en place la solution Zoom. Je ne vous dis pas que c'est un développement global sur l'ensemble du secteur bancaire, mais cela fait un mois qu'ils utilisent notre solution. Et ils en sont très heureux. On continue à leur créer des comptes et j'imagine qu'on va ensuite discuter de manière plus globale de la façon d'utiliser Zoom. Je ne sais pas, par exemple, un conseiller pourrait être en relation avec son client comme cela se fait aujourd'hui. Vous avez certainement dû voir que HSBC a annoncé qu'il utilisait Zoom pour faire du relationnel avec leurs clients en vidéo.
Autre question sur la localisation des échanges vidéo sur une zone limitée en Europe de l'Ouest. Est-ce possible de le faire très facilement avec Zoom aujourd'hui ?
Cela a toujours été possible. Un client français dans le domaine pharmaceutique, cosmétique pour être plus précis, nous en a fait la demande express. Donc, depuis un an et demi, on a un contrat avec ce client qui a demandé expressément à être localisé sur des datacenters européens.
Quand vous dites européen, il s'agit d'un datacenter irlandais, allemand...
Nous avons deux datacenters en Europe qui sont localisés à Amsterdam et Francfort pour le moment. Mais c'est une excellente question puisque, comme l'a annoncé notre CEO, nous allons donner aux entreprises la possibilité de personnaliser la gestion des datacenters. C'est-à-dire que les entreprises qui ne souhaitent pas avoir des connexions sur les datacenters en Chine ou aux U.S.A. vont pouvoir enlever des datacenters de leur réseau. En fait, les participants aux réunions vont aller se connecter sur les datacenters qui ont été choisis par l'entreprise. C'est une nouveauté qui sera disponible à partir du 18 avril.
Pour ce qui est des mises à jour et des nouvelles releases, le rythme est-il trimestriel, annuel... ?
C'est en fonction des développements et des urgences. Il y a un programme qui est planifié et c'est tout le temps puisque tout le gros avantage de Zoom, notamment par rapport à certains concurrents, c'est que la plateforme est native dans le cloud. Nous étions concentrés à 200% sur la stabilité et l'accessibilité de la plateforme au vu des événements qui arrivaient. On a vu la vague arriver puisque Eric Yuan a été sensibilisé par la fermeture des écoles en Chine. Étant d'origine chinoise, ça l'a sensibilisé et il a vu la chose arriver. Et puis on a eu une présence assez forte en Asie Pacifique, donc l'accent était plutôt mis sur la montée en charge du réseau pour pouvoir supporter les connexions. On s'attendait à une utilisation massive de la vidéoconférence. Dans les premiers jours de confinement en France, par exemple, contrairement à d'autres, nous n'avons eu aucun problème d'accessibilité à la plateforme. Donc, en fait la concentration des efforts a été plutôt mis là-dessus. Après les efforts ont été concentrés sur la sécurité, mais tous les projets de releases prévus au mois d'avril ou au mois de mai sont légèrement décalés dans le temps. Nous avons toujours des avancées et des fonctionnalités à mettre en place sur la plateforme. Par exemple, entre 2018 et 2019, nous avons ajouté quasiment 300 nouvelles fonctionnalités sur la plate-forme. Nous la faisons toujours évoluer et nous écoutons les remontées de nos utilisateurs - principalement de nos gros clients - qui nous disent j'aimerais bien ça. Eric Yuan engage des discussions et fait des ajustements ou des développements pour répondre aux besoins des entreprises.
Votre plateforme est plutôt complète mais quelles sont au final les fonctionnalités qui sont les plus utilisées ?
La fonctionnalité la plus utilisée aujourd'hui, c'est la vidéoconférence HD, avec l'audio conférence HD également. C'est une vidéo parfaite entre la vidéo et l'audio. C'est plus que de la vidéo HD puisque que vous avez la fonctionnalité de tchat qui est disponible sur la plateforme. Vous avez aussi la gestion des participants pour nommer un animateur de réunion et autoriser l'enregistrement. Mais une des fonctionnalités les plus utilisées, c'est de couper sa vidéo, couper son audio et le partage d'écran. C'est ce qui est utilisé dans quasiment toutes les réunions et, après, le petit effet qui était plutôt un gadget amusant avant la situation de confinement et qui est aujourd'hui indispensable en période de télétravail avec des enfants, c'est l'arrière-plan virtuel. Celui-ci est passé d'un mode gadget à un mode vraiment différenciant et vraiment important parce que si quelqu'un passe derrière moi, vous ne le verrez pas. Et ça, aujourd'hui, dans cette période de télétravail, c'est vraiment appréciable. C'est vraiment différenciant.
Vous offrez beaucoup de fonctionnalités et de paramétrage mais on finit par s'y perdre. Alors comment comptez-vous remédier à ça et simplifier votre plate-forme ?
Nous avons chez Zoom 15 personnes en France dédiées au terrain. Nous avons des forces de vente et nous avons également des ingénieurs avant-vente. Si vous avez la volonté d'utiliser Zoom avec l'ensemble de vos collaborateurs, nous avons un avant-vente qui sera là pour vous expliquer le fonctionnement de la plate-forme. Et puis dès qu'il y a contractualisation, nous avons ce qu'on appelle des systèmes avec un success manager. C'est un service qu'on offre à nos clients et qui va aider à former, accompagner et s'assurer de la bonne adoption de l'outil en interne chez nos clients. Que ce soit la prise en main, que ce soit du recording ou même, comme vous le disiez, le paramétrage de la plateforme, qui est très riche en termes d'options. Nous vous accompagnons en vous expliquant la façon dont un administrateur peut organiser telle option pour l'ensemble des collaborateurs ou pas. Est ce qu'on va retirer le reporting sur le cloud parce qu'on n'a pas envie. Est ce qu'on va retirer la fonction de tchat... On peut imaginer que c'est complexe quand vous allez sur les paramètres de la page web mais je dirais qui peut le plus peut le moins. C'est juste la façon dont on paramètre votre compte et après, vous êtes tranquille. Par exemple, vous mettez la salle de réunion dans la salle d'attente pour votre compte et à chaque fois que vous allez organiser une conférence, vous allez voir quelqu'un qui va vous dire : Loïc Rousseau souhaite rejoindre votre salle d'attente. Vous acceptez. Mais encore une fois, c'est quelque chose que l'on peut stopper dès le départ. Et puis après vous n'y touchez plus.
Quant à la retranscription et la traduction en temps réel des discussions tenues lors d'un meeting, avez-vous des développements en cours sur ce sujet ? Sur ces derniers points, vous semblez avoir un peu de retard sur votre concurrent direct Bluejeans.
Oui, vous avez entièrement raison, sur notre concurrent direct, mais pas de dire qu'on a du retard par rapport à un point spécifique. Je pense qu'on a de l'avance sur d'autres points. Apparemment les utilisateurs ne se trompent pas, mais en fait sur ce point-là vous avez raison. Une release était prévue début mai avec l'arrivée de la transcription automatique simultanée lors des réunions. Aujourd'hui, on a la transcription post réunion mais la transcription simultanée devait être lancée début mai. Elle est aujourd'hui en bêta test chez certains de nos clients notamment les gros utilisateurs de webinars. C'est important d'avoir la retranscription directe, mais, vu la situation, nous avons indiqué nous concentrer sur la sécurité pendant 90 jours afin de rassurer l'ensemble de nos utilisateurs. Je pense que ça va être décalé. C'est toujours en bêta test, ce n'est pas encore en live mais c'est en bêta donc c'est disponible.
Second point de la question : la traduction en temps réel liée à la transcription est-elle disponible ?
Vous voulez dire en live. On propose déjà la traduction sur la plateforme mais ce sont des traducteurs. Aujourd'hui on travaille avec l'intelligence artificielle sur l'anglais. Pour le moment, je pense que la société avec laquelle on travaille va bientôt ajouter le japonais. Pour la langue de Molière, on va attendre encore un peu mais ce sont des choses qui sont en développement.
Quand vous dites l'anglais aujourd'hui, quelles sont les fonctionnalités associées pour la traduction ?
Aujourd'hui, nous n'avons pas de traduction simultanée. C'est juste le transfert dans la transcription en anglais. Le japonais va aussi arriver et le français un peu plus tard.
Quels sont les partenariats que vous avez aujourd'hui pour mieux intégrer votre plate-forme à une solution collaborative ?
Aujourd'hui, en termes de partenariats, nous proposons le best of breed : Zoom, Slack, Okta et Box. Nous avons monté un partenariat entre quatre acteurs du marché : Slack pour la partie Collaborative, Zoom pour la partie vidéoconférence, Okta pour la partie SSO et Box pour la partie échange de documents. Après, si votre question concerne la partie intégration avec des salles de visioconférence, nous travaillons avec des intégrateurs et des partenaires qui intègrent et qui sont capables d'installer les solutions Zoom Room chez nos clients. Et, nous allons aussi nous associer à un opérateur français qui va être un partenaire Zoom fort pour le marché français et le marché international.
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