DEEE : Les écueils du recyclage des produits informatiques

À partir de ce 15 novembre 2006, l'industrie informatique doit assurer le recyclage systématique des composants qu'elle utilise. Comparable au passage à l'euro, cette mutation qui paraît simple soulève en fait bien des problèmes.

Serait-ce l'approche de l'élection présidentielle française, ou la sortie récente du film Une vérité qui dérange, dans lequel l'ancien vice-président américain Al Gore sonne le tocsin à propos du réchauffement climatique ? Toujours est-il que la prise de conscience écologique semble s'aiguiser depuis quelques semaines. Le gouvernement a ainsi multiplié les mesures en faveur de la protection de l'environnement. À compter de ce 15 novembre, l'informatique est elle aussi concernée puisqu'elle doit organiser un recyclage systématique des composants. Selon le ministère de l'Écologie et du Développement durable, chaque Français produit par an 14 kg de déchets liés aux appareils électriques et électroniques (ordinateurs, consoles de jeux, téléviseurs, machines à laver...). Et le volume augmente annuellement de 4 %, alors que de nombreux équipements de ce type comportent des substances nocives. Une initiative venue de Bruxelles Pour ce qui est des ordinateurs, la quantité de déchets traités chaque année s'élève à 1,7 million de tonnes. La récupération des composants est complexe mais assez bien maîtrisée, même pour les métaux et autres produits dangereux. Il restait à systématiser leur recyclage. L'obligation d'organiser une filière de retraitement pour ce type de déchets est venue d'une réflexion entamée à Bruxelles en l'an 2000 et s'est concrétisée par une directive générale à la fin 2002. Cette initiative européenne a engendré plusieurs décrets en France. Ainsi, depuis le 13 août 2005, les produits mis sur le marché doivent inclure un logo spécifiant qu'il ne faut pas les jeter avec les ordures ménagères. Et, depuis le 1er juillet 2006, l'emploi de substances dangereuses est proscrit, sauf dans certains cas précis où leur utilisation est indispensable au fonctionnement de l'appareil. Dernière mesure en date, qui devait initialement entrer en vigueur en janvier 2007 : la mise en place d'une filière de recyclage. Dans le cadre du projet pour l'environnement que le Premier ministre a récemment présenté, elle a été avancée au 15 novembre 2006. Que signifie-t-elle concrètement ? Que l'acquéreur d'un PC, d'un écran plat, d'une imprimante ou autre matériel pourra désormais, lors de l'achat du matériel neuf, remettre au vendeur son équipement usagé. Dans la foulée de cette mesure, un nouveau sigle est appelé à se répandre sur les étiquettes : DEEE, pour déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E). Ces déchets proviennent principalement de la reprise de produits laissés à la grande distribution, lors de l'achat d'autres biens, et des collectivités locales, selon leur politique. Ces dernières peuvent en effet mettre en oeuvre les collectes de déchets mais n'y sont pas obligées. L'enlèvement et le traitement des D3E sont confiés à des organismes spécialisés, dits « éco-organismes ». Quelle est la situation en cet automne 2006 ? Il apparaît que les industriels ont pris depuis des années des dispositions pour se préparer à une telle mesure, allant jusqu'à contracter des alliances à l'échelle du continent. En France, quatre éco-organismes ont obtenu l'agrément et doivent se partager, équitablement si possible, cette charge nouvelle. Ils sont tenus de collecter chacun un certain pourcentage des D3E, la répartition ayant été faite en fonction de leurs parts de marché. Ainsi, une partie des produits informatiques sera traitée par ERP (European Recycling Platform), émanation de Braun-Gillette, Electrolux, HP et Sony, et de cinq cents autres producteurs. « Cela représente environ 20 % du marché de l'informatique », estime un porte-parole de cet organisme à vocation paneuropéenne qui travaille depuis un an en Irlande et en Autriche, ainsi qu'en Allemagne depuis mars. Une autre partie des ordinateurs en fin de vie sera traitée par Ecologic, une entité fondée par Brother, Epson, Fujifilm, Kodak, Peekton, Pioneer, Sagem et Sharp. Le troisième organisme, Éco-systèmes, est issu de la grande distribution, avec pour adhérents des enseignes comme la Fnac, Leclerc, Auchan ou Darty, mais aussi quelques gros producteurs tel Philips. Il gère les produits électroniques, ménagers et audiovisuels. Enfin, Recyclum a pour principale mission le recyclage des lampes usagées. « Il faudra pour commencer traiter jusqu'à vingt ans de déchets historiques », explique Arnaud Brunet, directeur des relations extérieures de Sony et représentant d'ERP en France. Cela n'avait aucun sens, d'un point de vue économique, de faire trier les produits par les marques, juge-t-il. « C'était trop complexe à gérer. Sans compter que la marque d'origine a parfois disparu... » Des catégories de produits diverses En réalité, le recyclage n'est pas une mince affaire. « Le gros électroménager se divise en "hors froid" et "froid", ce dernier ayant une logique de dépollution particulière, expose Arnaud Brunet, en guise d'illustration. Les écrans forment une famille à part entière. Et il y a le PAM (petits appareils en mélange), qui englobe le reste : sèche-cheveux, Walkman, imprimantes... » ERP a donc réuni divers producteurs pour obtenir les financements nécessaires et organiser le traitement. « Nous coordonnons les opérations de recyclage en Europe, reprend le DRH. Notre structure est très légère et n'a pas vocation à investir dans des camions ou des usines de démantèlement ou de recyclage. Pour le traitement, il y a déjà une pléthore d'acteurs. Notre travail consiste à passer des contrats avec les industriels qui conviennent. » Chez Fujitsu Siemens, on a choisi de s'appuyer sur Ecologic. « La nouvelle directive rejoint et formalise une stratégie que nous avons mise en place depuis 1998 via notre centre de recyclage en Allemagne, assure Pierre Lestienne, responsable des opérations. Ce qui change, c'est que nous travaillons désormais dans un cadre légal. La directive a permis de montrer au consommateur qu'une organisation est déjà en place. En tout état de cause, on ne doit plus retrouver de micro-ordinateurs sur les trottoirs... »Les plus affectés par la nouvelle directive sont sans conteste les points de grande diffusion, avec de nouvelles contraintes qu'il a fallu gérer dans l'urgence. Ainsi, à la Fnac, tous les employés des magasins, des hôtesses d'accueil aux responsables de rayon, sont informés des contraintes liées à la nouvelle directive européenne. « Quand un client arrivera avec un produit, il sera dirigé vers le lieu de retrait des achats où nous avons placé un identifiant point de collecte », explique Denis Vicherat, directeur du développement durable de l'enseigne. Si l'acheteur se contente de remplir un certificat d'abandon, les choses sont autrement plus compliquées pour la Fnac, qui a dû consentir de gros efforts. « On pourrait imaginer que cela ne nous coûte rien puisque nous répercutons le supplément de tarif. Mais le changement a des effets sur les étiquettes, l'informatisation, la comptabilité... Près de 10 000 références produits sont concernées et l'enseigne compte 70 magasins. Il faudra ajouter l'écoparticipation pour chacun d'entre eux. Le coût de cette mutation est comparable à ce que nous avons investi pour le passage à l'euro. » Un retard à l'allumage Pour la mise en route du dispositif, Denis Vicherat se déclare « scandalisé », par l'insuffisante remontée d'information de la part des constructeurs. « Nous avons envoyé dès cet été des lettres à nos 200 fournisseurs pour leur demander le nom de l'organisme auquel ils étaient affiliés et quelle était l'éco-participation pour chaque article, afin de pouvoir répercuter ce montant et de l'indiquer sur les étiquettes. À huit jours de la deadline, le tiers des fournisseurs ne nous avaient pas indiqué leur éco-organisme. Cela malgré nos relances... C'est irresponsable ! Voilà le point qui nous pose le plus de problème. » Parmi ces « mauvais élèves » figuraient notamment des sociétés comme Sharp ou Pioneer. D'ici au 31 décembre 2006, les États membres de l'Union européenne ont l'obligation de collecter 4 kg de D3E par habitant. Y parviendra-t-on en France, compte tenu de la situation actuelle ? Difficile de l'affirmer... Mais voyons le bon côté des choses. La mesure va dans le bon sens. Et plus d'un consommateur appelé à contribuer à la qualité de l'environnement par une écotaxe d'un montant symbolique estimera sans doute que le jeu en vaut la chandelle.

Vers une revalorisation de la marge ?

Les éco-organismes seront-ils des sources de profits ? « En aucun cas », soutient Arnaud Brunet, directeur des relations extérieures de Sony et représentant d'ERP. Il n'en reste pas moins que ces entités se trouvent de fait en situation de concurrence. « En tant que point de reprise,la distribution peut contracter avec qui elle veut. Nous ne cherchons pas à faire du profit. L'objectif est de gérer la filière de traitement au niveau économique et environnemental. Or les entreprises auront tout intérêt à rechercher la performance en s'attachant à la qualité de service, à la traçabilité, et aussi à ce que paie le producteur à l'éco-organisme. » Il se trouve que l'on constate des variations de prix d'un éco-organisme à l'autre. Certains établissent la tarification au poids, d'autres selon la catégorie de produits. Chez ERP, l'écotaxe est chiffrée au poids et varie de 1 E à 2 E, jusqu'à 15 kg pour un écran informatique, et de 4 E à 8 E si le matériel pèse davantage. Chez Ecologic, la taxe avoisine 1 E par PC. Mais qui donc supportera cette écotaxe ? Le consommateur. « Jusqu'en 2011, le coût du recyclage est facturé à la distribution, qui a l'obligation légale de le répercuter au centime près », précise Arnaud Brunet. Cette contribution environnementale sera désormais visible sur les étiquettes.

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