« La médiation des entreprises a reçu depuis quelques jours l’équivalent d’environ un mois de saisines concernant en grande majorité des retards de paiement », indique Pierre Pélouzet, le médiateur des entreprises.
Bercy a mis en place un comité de crise sur la question du crédit inter-entreprise qui se focalise sur la surveillance des grands comptes. S'agissant des PME, aucune nouvelle mesure n'a encore été prise pour aider au recouvrement des impayés. Habituellement chargé de la question, le médiateur des entreprises voit les demandes affluer.
Prises rapidement par le gouvernement pour amortir les effets du confinement, les mesures de soutien à l'économie manquaient encore de réponses sur le plan du crédit inter-entreprise. Mais, face à des « difficultés significatives récentes dans le règlement des achats de la part de certaines entreprises », le ministère de l'Économie et des Finances et la Banque de France ont décidé le 23 mars de créer un comité de crise sur la question. Il faut dire que les créanciers tirent la sonnette d'alarme. « La médiation des entreprises a reçu depuis quelques jours l'équivalent d'environ un mois de saisines concernant en grande majorité des retards de paiement », indique Pierre Pélouzet, le médiateur des entreprises. Ce dernier siège au comité, au côté du médiateur du crédit, des représentant du ministère, des fédérations d'entreprises (AFEP, CPME, MEDEF, U2P), des chambres de commerce et chambres des métiers et de la DGCCRF. Ils se réuniront « autant que nécessaire, précise Bercy, par conférences téléphoniques ».
Les organisations socio-professionnelles chargées du rappel à l'ordre
Le comité a pour mission d'identifier la profondeur de la détérioration des délais de paiement, de détecter les cas les plus manifestes et de trouver les moyens de mesurer instantanément la situation et d'informer sur la situation en matière de crédit inter-entreprises. Mais il est aussi chargé de trouver des solutions, en particulier pour les structures les plus affectées par le report ou la cessation des paiements de factures. Les médiateurs des entreprises et du crédit rappelleront les moyens dont ils disposent pour résoudre certaines difficultés de ce type. Les représentants des organisations socio-professionnelles seront chargés du rappel à l'ordre auprès des « entreprises dont le comportement est anormal ». Enfin, à l'inverse, ce comité valorisera « les entreprises s'engageant volontairement dans la solidarité économique ».
Les deux médiateurs le confirment : la question se concentre sur les grands donneurs d'ordres acteurs qui travaillent avec des structures de taille plus modeste. Et c'est sur eux que se focalise le comité de crise. « Tous ont des PCA (plans de reprise d'activité) qui concernent tout ce qui est opérationnel, insiste Pierre Pelouzet. Comment produire ce qu'il faut produire, comment gérer le télétravail ou les machines à l'arrêt... Ces PCA doivent aussi intégrer les modalités de continuité de paiement des fournisseurs. Au même niveau de priorité que la continuité de production ! Actionnons ces PCA pour payer le plus vite possible ces petits fournisseurs !»
Difficile d'établir des règles plus strictes pour les PME
Le but du comité est louable mais se concentrer sur les grands comptes mauvais payeurs et résoudre des situations au cas par cas ne réglerait qu'une partie du problème. Quid des factures qui ne seront pas honorées entre PME, dont le nombre est bien plus important que celles des grands comptes ? « S'il devait prendre des mesures s'imposant à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, le gouvernement se retrouvait face à un choix cornélien, estime Alexandre Bardin, le dirigeant du cabinet de recouvrement Rubypayeur. Il pourrait décider de faire absolument respecter les délais de paiement sous peine de sanction importante. Des entreprises réellement fragilisées par la crise risqueraient alors de mettre la clé sous la porte. A l'inverse, au vue de la situation actuelle, il pourrait annuler les pénalités en cas de défaut de paiement mais ce serait la porte ouverte à tous les abus. »
Pour le moment, la solution que l'administration offre aux PME pour recouvrir leurs impayés est de faire appel au médiateur des entreprises. Elles ne s'en privent d'ailleurs pas. Alors que ce service du ministère de l'économie enregistre habituellement une demande par semaine, il en est déjà à une centaine en ce mois de mars. Reste à savoir s'il pourrait soutenir une montée en charge bien plus importante si le confinement devait durer encore longtemps.
Des créanciers et des débiteurs plus enclins à s'entendre
En attendant une autre solution satisfaisante, si l'en existe, qui viendrait mettre l'économie à bonne distance d'une crise du crédit inter-entreprise, certaines PME jouent la bonne intelligence. Le 15 mars, lorsque les autorités ont décidé la fermeture des commerces non-essentiels, l'éditeur et intégrateur de logiciels de caisse marseillais Gexell a vu 30% de son activité ralentir en un claquement de doigt. « Je reçois plusieurs mails par jour où des magasins nous demandent de suspendre leurs paiements. Nous avons décidé de décaler les échéance des clients lorsqu'ils nous écrivent », explique Patrick Chelma, le dirigeant de l'entreprise. Gexell profite lui aussi de cette bonne intelligence, puisque Sage, son fournisseur dans le cadre de son activité de revendeur de logiciels de gestion, a également accepté de décaler le paiement des sommes qu'il lui doit. « On sent une solidarité qui se met en place. Avant la crise, seul 20% des échéanciers proposés par les débiteurs de nos clients étaient acceptés. Aujourd'hui, la proportion est de 50% », détaille Alexandre Bardin. Selon ce dernier, la solidarité n'est d'ailleurs pas à sens unique : « Les débiteurs sont aussi plus nombreux à proposer des échéanciers. Or, étant donné que les tribunaux sont fermés ou fonctionnent à faible capacité, ils savent très bien qu'ils pourraient être tranquilles pendant au moins trois mois s'ils décidaient de ne rien payer. »
Les grossistes tentent d'amortir le choc pour les revendeurs IT
Les grossistes IT font également leur possible, conscients qu'aider leurs clients à survivre est le gage de leur propre capacité à relancer à plein leur activité une fois le confinement terminé. La semaine dernière, le groupe Also a par exemple annoncé qu'il allait consacrer plusieurs millions d'euros pour limiter l'impact financier du COVID-19 sur l'activité de ses clients, en allégeant leur problème de trésorerie. Même s'il n'ont pas communiqué aussi ouvertement sur le sujet, ses concurrents Ingram Micro et Tech Data mènent des démarches similaires. « Nous procédons à des revues de dossiers au cas par cas », confirme Antoine Delval, le directeur marketing d'Ingram Micro France. Mais la rigueur est aussi de mise : « Nous sommes forcément plus regardants », indique Pascal Murciano, le dirigeant de Tech Data France. Et pour cause, « les grossistes ne peuvent pas se permettre d'aller trop loin dans leur souplesse avec les revendeurs, sous peine de ne pas être couverts par leurs assurance- crédit », indique Jean-Marie Le Guen, le secrétaire général du syndicat français des grossistes informatiques.
Finalement, tout est une question de temps. Les mécanismes formels et les souplesses qui soutiennent le marché en ce moment ne peuvent être que des solutions temporaires. « Si le choc dure un mois, ce sera gérable. Au-delà, ce sera une catastrophe », estime Patrick Chemla.
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