Covid-19 : L'application de tracking du gouvernement fait polémique

Olivier Véran et Cédric O ont annoncé le développement d'une app StopCovid pour traçer les malades. Elle suscite déjà beaucoup de débats. (Crédit Photo : Geralt/Pixabay)

Olivier Véran et Cédric O ont annoncé le développement d'une app StopCovid pour traçer les malades. Elle suscite déjà beaucoup de débats. (Crédit Photo : Geralt/Pixabay)

Le gouvernement prépare la stratégie de déconfinement et elle passera par des solutions de tracking. Il travaille sur une application baptisée StopCovid qui utiliserait le Bluetooth et se ferait sur la base du volontariat. Une orientation qui soulève déjà beaucoup de débat et d'opposition.


A l'occasion d'un entretien au Monde, Olivier Véran, ministre de la Santé et Cédric O, secrétaire d'Etat au Numérique ont évoqué les premières réflexions autour du développement d'une application nommée StopCovid. Cette solution de tracking aura pour objectif de « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission » et s'inscrit dans l'optique du déconfinement.

Concrètement, « lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l'un enregistre les références de l'autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique. » L'application utiliserait la technologie Bluetooth sans géolocalisation. Olivier Véran parle de « contact tracing », un système de traçage de proximité capable de notifier de façon anonymisée, des personnes dont les smartphones se trouvent dans une zone où des personnes infectées se sont déplacées.

Entre 3 et 6 semaines de développement

L'application reprend les grandes lignes du projet européen PEPP-PT. Les deux ministres reconnaissent les limites technologiques de la solution, « nous ne sommes pas certains de réussir à franchir toutes les barrières technologiques, car le Bluetooth n'a pas été prévu pour mesurer des distances entre les personnes ». Cette application devrait prendre entre 3 et 6 semaines de développement par l'INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique).

L'ancien secrétaire d'Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, dans une note parlementaire sur les « traçages des données mobiles dans le Covid-19 : Analyse des potentiels et des limites » soulève un autre problème. « Pour identifier efficacement les sujets « contact », une application doit être utilisée par un nombre important d'utilisateurs dans la population (de 25 à 60% selon différentes sources) ». Or les deux ministres l'ont rappelé, l'installation de l'application StopCovid se fera sur la base du volontariat. Au regard de l'expérience du confinement, il faudra certainement prendre des mesures incitatives pour que les Français adoptent en masse cette application et qu'une politique massive de tests soit massivement mis en place. Est-ce que le déconfinement sera lié à l'installation de l'application ? Si oui, quel serait le contrôle si quelqu'un éteint le Bluetooth de son appareil ? Autant de questions qui pour l'instant n'ont pas de réponses.

Débat vif autour des libertés individuelles et des dérives

Outre les questions techniques, les applications de tracking soulèvent un débat plus large sur la violation des libertés individuelles. Dans leur entretien croisé, les deux ministres ont insisté sur le fait que l'application « retracera l'historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure, ni transmettre aucune donnée ». Les données seront anonymes et supprimées au bout d'une période fixée. Le code l'application sera ouvert et la Cnil associée au projet tout comme l'ANSSI et la Dinum. La présidente de la Cnil auditionnée par la commission des Lois de l'Assemblée nationale a rappelé certains éléments sur le respect de la vie privée et du secret médical, l'utilisation basée sur la nécessité et la proportionnalité, le fait de privilégier le volontariat.

D'autres organismes se sont prononcés sur le recours à ce type d'applications, comme le Comité pilote d'éthique du numérique qui a publié un bulletin de veille où il cerne pas mal de difficultés. Il s'intéresse par exemple à la collecte et au traitement des données qui « pourraient également présenter un important risque d'arbitraire, notamment de mésusage, d'extension d'accès ou d'élargissement des finalités, que ce soit par les pouvoirs publics ou les acteurs privés (usage policier menant à des contrôles excessifs, contrôle par l'employeur, utilisation par les assureurs, etc.) ». Le comité pense que « le risque est également celui d'une défiance du public à l'égard des mesures de suivi ». Le think tank Terra Nova qui a publié une note de Mélanie Heard, enseignante-chercheuse au Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), évoque un contrôle ex ante démocratique avec l'implication du Parlement, mais également un tiers de confiance ad hoc. Et de prendre comme exemple la « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont la mission est bien le contrôle de proportionnalité a priori, en situation dérogatoire au droit commun ».

Un débat politique tendu

Le débat glisse enfin sur le terrain politique où le sujet divise au sein de la majorité LREM. Plusieurs députés se sont prononcés contre le tracking comme Sacha Houlié, qui indique dans une tribune que « le suivi des personnes infectées est une réponse dangereuse et condamnable. La collecte d'informations personnelles des utilisateurs de mobiles revient à placer la population sous bracelet électronique ». On peut citer, par ailleurs, la tribune de Paula Forteza et de plusieurs autres députés, qui explique « c'est d'un dépistage massif dont nous avons besoin, pas d'un pistage massif ! ».

L'opposition, comme LR, réclame un débat sur le sujet si le projet venait à aboutir au Parlement. Dans cette réflexion, l'intervention du président de la République jeudi 9 avril, pourrait donner un éclaircissement sur cette application de tracking qui n'a pas fini de faire parler d'elle...

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