Comment les grossistes (avec l'aide des constructeurs) creusent leur tombe au profit d'Amazon et consorts

Jack Mandard est le fondateur et dirigeant de Compubase, un cabinet spécialisé dans les études concernant le monde des services et de la distribution IT.

Jack Mandard est le fondateur et dirigeant de Compubase, un cabinet spécialisé dans les études concernant le monde des services et de la distribution IT.

Dirigeant du cabinet d'études Compubase, Jack Manadard analyse la stratégie des grossistes en rapport avec le type de clientèle qu'ils approvisionnent. Les distributeurs, selon lui, pèchent dans leur capacité à bien servir les nombreux « petits revendeurs » qui existent encore, alors même que leurs débouchés s'amenuisent auprès des grands revendeurs dont le nombre décroît. Sans réaction de leur part, nombre de partenaires de petite taille pour qui le négoce est devenu secondaire pourraient se tourner vers certains géants du web comme ils l'ont fait avec Dell.

Il y a toujours eu des concentrations dans l'industrie IT. Si l'on se penche sur le chemin parcouru par les grands grossistes tels qu'Ingram, Tech Data et Also, pour ne citer qu'eux, on voit parfaitement que le maintien d'une taille critique est un axe majeur de leur stratégie. Au risque d'autres paramètres essentiels.

Cette stratégie a pour fondement trois piliers :

 - Le renforcement de leurs capacités de négociation auprès des grands constructeurs, en partant du principe que plus on est gros plus on a de poids dans la recherche d'un accord.

 - La nécessité d'augmenter les volumes de vente sur les produits faisant partie de leurs catalogues traditionnels pour compenser l'érosion permanente des marges.

 - La nécessité de conquérir de nouveaux marchés ou de nouvelles compétences à partir du moment ou un produit ou une solution sort d'un marché de niche pour se démocratiser.

Problème, depuis quelques années, les cibles d'acquisition se sont raréfiées et les niches deviennent des micro-niches. De fait, l'heure des méga fusions entre grossistes se profile (le rachat d'Avnet TS par Tech Data le démontre), car les modèles ont évolué. Le Cloud et la dématérialisation ont rebattu les cartes, mais surtout de nouveaux grands pointent leur nez : Amazon, Google (avec Walmart) et consorts regardent de plus en plus du côté de la distribution B2B IT qui peut d'ailleurs déjà s'approvisionner chez eux aux conditions de monsieur tout le monde.

Le dilemme des grossistes face à leur modèle économique.

D'un côté, une bonne gestion d'un client revendeur prend du temps et des ressources, mais les "bons revendeurs" (définis par un CA annuel sur le catalogue disponible) sont de moins en moins nombreux. De leur côté, en effet, la concentration fait aussi rage, surtout pour les sociétés créées dans les années 80.

De l'autre côté, pour bien travailler ce que les Anglo-saxons appellent « the long tail » - c'est-à-dire la longue traine composée des nombreux partenaires à faible CA - un modèle grossiste qui se contente d'une ouverture de compte, d'une quasi inexistence d'autorisation d'en cours et d'un suivi marketing réduit aux e-mailing sponsorisés par les constructeurs, n'est plus du tout adapté. S'ajoute à cela le fait que les constructeurs contribuent de plus en plus à ce phénomène, en ayant, année après année, diminué les fonds marketing à destination des grossistes.

Il faut dire que les distributeurs ont bien souvent abusé (avec la complicité passible des constructeurs) de ce qui ressemblait plus à des marges arrières que réellement à des fonds de développement commercial. Quand les constructeurs ont voulu reprendre le contrôle de l'utilisation réel de ces fonds, le noeud s'est resserré autour du cou de nos grossistes.

Mal gérés, les petits revendeurs pourraient se tourner vers un Amazon ou un Google. Certes, une distribution réduite à ces géants du web n'intéresse personne, ni les constructeurs, ni les revendeurs. Mais si les choses se poursuivent comme aujourd'hui, cela arrivera inéluctablement.

Les gens apprennent malheureusement peu de l'Histoire, pourtant celle du marché informatique est riche d'exemples à ne pas suivre !

Prenons le cas de feu Novell, qui, pour sauver ses résultats, concentrait ses efforts sur les grands comptes, délaissant les marchés des PME et TPE au profit de Microsoft. On sait comment tout cela s'est terminé... Mais je crois que l'exemple le plus proche de ce que vivent les grossistes aujourd'hui est l'arrivée de Dell en distribution indirecte. Dell, pour ceux qui l'aurait oublié, avait pour au départ objectif « supprimer la distribution » et fut longtemps le porte-étendard de la vente directe. Pour y arriver, Michael Dell a mis en place un système d'analyse de données et surtout, grâce au développement du web, une gestion très performante de la vente en ligne. Ce système si performant a fini par rencontrer un marché inattendu, celui des sociétés IT pour qui le négoce ne constituait pas l'activité majeure et qui voulaient surtout éviter de passer un temps fou et inutile à discuter de marge sur un PC ou un Serveur. « Je vous fait le prix de Dell » devint un argument commercial. 

Comme Dell était le champion des études sur ses données, il a vite fini par se rendre compte qu'une partie de moins en moins négligeable de ses clients venait de l'univers IT. De fait, ce qui devait arriver arriva : Le texans développa une stratégie de ventes indirectes, certes au départ totalement différente de celle des constructeurs traditionnels, axée sur une relation directe avec des revendeurs, sans grossiste, et davantage basée sur du rétro commissionnement. Quoiqu'il en soit, le vers était dans le fruit et il ne fallut pas longtemps pour que les grossistes viennent frapper à la porte de Dell, au grand dam des constructeurs traditionnels. Beaucoup n'y ont pas survécu, car le modèle économique de Dell permettait une réactivité que les modèles historiques ne permettaient pas.

Quel rapport avec la situation des grossistes aujourd'hui ?

Dell a commencé son chemin par « the long tail ». En développant un modèle rentable et dynamique sur des commandes de faible valeur, il lui fut assez facile de conquérir des comptes à forte valeur par la suite.

Nos grands grossistes ont actuellement une stratégie de fuite en avant, dans une concentration qui ne pourra pas continuer bien longtemps.

Selon nos études[i], 77 % de revendeurs réalise moins de 10 % de leur marge brute annuelle avec des activités de distribution. Qui parie que ce chiffre va diminuer ? Le vrai chantier des grossistes qui est donc devant eux, à savoir la reconquête des «petits partenaires », ceux qui ne vivent pas de la revente, mais qui ont besoin de revendre dans le cadre de la fourniture de prestations de services. Ils ont besoin d'un outil simple, de distributeurs comprenant leur métier (c'est-à-dire les connaissant un minimum et connaissant le marché sur lequel ils sont) et de support pour développer leur marché. 

Les grands constructeurs, s'ils ne veulent pas se retrouver rapidement à ne négocier qu'avec Jeff [ii] ou Sundar[iii], devraient penser à réaffecter et repenser leur MDF (fonds de développement marketing) en MTF (fonds de transformation marketing).... 

 

 [i] Etude compuBase sur 50 000 acteurs de la distribution en EMEA tenant compte du pourcentage du CA total fait en distribution et d'une marge moyenne sur produit revendus de 15%

[ii] Jeff Bezos - PDG d'Amazon

[iii] Sundar Pichai - PDG de Google

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