Quand Google annonce, le 14 décembre 2004, son intention de mettre à la disposition des internautes le contenu de quatre millions et demi de livres issus de la bibliothèque de New York et de celles des universités du Michigan, de Stanford, de Harvard et d'Oxford, la réaction de Jean-Noël Jeanneney, le président de la Bibliothèque nationale de France (BNF), est aussi rapide qu'empreinte d'inquiétude : il craint « la dispersion du savoir en poudre ». Brandissant la menace d'une « domination écrasante de l'Amérique dans la définition de l'idée que les prochaines générations se feront du monde », J.-N. Jeanneney estime que la présence d'ouvrages uniquement américains sur le moteur de recherche fait courir le risque d'une « homogénéisation forcée des cultures ». Un avis que n'est pas loin de partager Michael Gorman, le président de l'association des bibliothèques américaines (ALA). Son éditorial dans le Los Angeles Times du 17 décembre, « Google and God's mind », exprime scepticisme et appréhension face au projet de l'outil de recherche californien. La tribune que publie le président de la BNF dans les colonnes du Monde au mois de janvier sonne la mobilisation des défenseurs de la culture européenne. J.-N. Jeanneney en appelle en effet à ses voisins européens pour que, ensemble, ils parviennent à proposer un projet alternatif : « Une telle entreprise suppose au niveau de l'Union une étroite concertation des ambitions nationales. » Jacques Chirac rebondit sur les souhaits du président de la BNF et, le 16 mars, promeut l'idée d'un « vaste mouvement de numérisation des savoirs au niveau européen ». Le 27 avril, alors que paraît le livre de J.-N. Jeanneney « Quand Google défie l'Europe, plaidoyer pour un sursaut », les voix de dix-neuf pays européens, via leurs bibliothèques nationales, se joignent à celle de la France dans un manifeste appelant à la création d'une alternative à Google Print. Une telle entreprise, précise le texte, « nécessite l'étroite concertation des ambitions nationales pour définir le choix des oeuvres. Elle appelle aussi le soutien des autorités communautaires pour développer un programme énergique de recherche dans le domaine des techniques qui serviront ce dessein. » De fait, et au-delà des intérêts culturels communs, les vingt signataires devront oeuvrer en commun pour mettre en place les instruments nécessaires à leur ambitieux projet. Le projet Quaerio, annoncé le 26 avril, pourrait répondre en partie à ces exigences techniques, et servir de point de départ, voire de modèle, à un futur travail en commun. Il consiste en la création, par la France et l'Allemagne, d'un moteur de recherche innovant rendant « accessible l'usage des contenus multimédias à une plus large population ». En clair : ne pas laisser Google et Yahoo occuper seuls le créneau de la recherche sur Internet. Google Print devrait coûter entre 150 et 200 M$. Si cette somme ne représente qu'une petite moitié des bénéfices trimestriels du moteur de recherche, elle pourrait en revanche freiner les ardeurs des vingt Européens. Si la diffusion du savoir sera une manne pour Google, à travers les mirifiques revenus publicitaires qu'elle devrait engendrer, elle est davantage vue comme un sacerdoce de l'autre côté de l'Atlantique. Et le sacerdoce a un prix.
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