Le battage médiatique dont l'IA fait l'objet lui porte préjudice en ce sens qu'il détourne beaucoup de projets de leurs vrais objectifs et entrave ainsi l'adoption de cette technologie de rupture. (Illustration : Pixabay)
En matière d'IA, les équipes IT des entreprises s'intéressent surtout aux déploiements qui peuvent offrir de réels gains mesurables, par exemple les chatbots pour le support client, l'automatisation des opérations réseau et les modèles d'IA auto-hébergés pour l'analyse commerciale.
On lit, on entend et on imagine beaucoup de choses sur l'IA, son potentiel, ses capacités... Mais quelle est la part de réalité dans tout ça ? Le succès de l'IA est-il simplement le résultat d'un battage médiatique ? Et, ce battage ne nuit-il pas à la technologie plus qu'il ne l'aide ? En matière d'IA, les entreprises doivent aller au fond des choses, pas tant sur le plan technique que sur celui de la rentabilité. C'est comme cela que l'IA prouvera sa vraie utilité et que l'on pourra vérifier si ce qui est promis n'est pas un mirage. Tout le monde a entendu dire que l'IA révolutionnait le travail, qu'elle permettait aux entreprises d'économiser des dizaines de milliers d'heures de travail et que tous les collaborateurs devaient apprendre à l'utiliser efficacement. Peut-être que tout cela n'aura pas d'impact sur l'emploi pendant un certain temps, mais l'IA va très probablement finir par supprimer des postes. Il semble que la plupart des gens veulent ignorer ces scénarios catastrophe sur les effets négatifs de l'IA. Mais que dire des scénarios non moins extrêmes sur les avantages de l'IA ?
Le battage médiatique dont l'IA fait l'objet lui porte préjudice en ce sens qu'il détourne beaucoup de projets de leurs vrais objectifs et entrave ainsi l'adoption de cette technologie de rupture. Oui, l'IA révolutionne le travail et permet de gagner du temps... Souvent beaucoup de temps. Chacun devrait apprendre à d'en servir, et peut-être aussi à s'en méfier. Néanmoins, l'IA ne s'apprête pas à remplacer le travail humain. En fait, aujourd'hui, les utilisations les plus courantes de l'IA auraient du mal à être justifiées par une analyse de rentabilité. Le sens de tout ça ? On verra bien... Que l'IA fasse les gros titres n'est pas forcément une mauvaise chose. Ce buzz suscite de l'intérêt, incite à faire des tests, aide les commerciaux des fournisseurs à obtenir des rendez-vous et permet à ces derniers de faire parler d'eux. Les annonces d'Apple sur l'IA ont suscité beaucoup d'attention. Et même si beaucoup ont dit que ces informations étaient sans intérêt, voire ennuyeuses, quel autre choix avait Apple, si ce n'est d'annoncer une IA qui fait ce dont tout le monde parle déjà ? Parfois, il est nécessaire de dresser un énorme panneau d'affichage pour répéter ce que tout le monde dit déjà. C'est ce qu'on appelle le marketing. Tout le monde continue à cliquer sur des articles extravagants sur l'IA et cela signifie que le procédé fonctionne.
Regarder au bon endroit pour comprendre la valeur de l'IA
Wall Street adore l'IA et récompense les entreprises qui font des annonces dans ce domaine, même s'il s'agit simplement de partenariats avec un fournisseur d'IA ou du lancement d'outils qui ne font rien de plus que ce que font déjà ceux des concurrents. La majorité de ces activités sont liées à l'IA générative, et la plupart à des outils et des capacités de productivité personnelle, ce à quoi tout le monde peut s'identifier. Avec ce buzz généralisé, pas étonnant que les gens pensent que l'IA est en train de conquérir le monde. Mais il faut parfois se demander si l'on regarde au bon endroit pour comprendre la valeur et les progrès qu'elle amène. Un récent article expliquait comment, grâce à l'IA, une entreprise avait pu économiser des dizaines d'années-personnes en quelques mois, sans faire aucune analyse sur la rentabilité. En vérité, on ne sait pas estimer l'avantage par travailleur ni chiffrer le coût de ce gain de temps par travailleur. On ne sait pas si ce gain de temps s'est traduit par des économies pour l'entreprise, si elle a pu supprimer des postes existants ou éviter de nouvelles embauches. Par exemple, si un travailleur moyen gagne vingt euros de l'heure et que les outils d'IA lui permettent de gagner une heure par semaine, quelle est l'économie pour l'entreprise ? Zéro. Sauf si l'on fait perdre une heure par semaine à l'employé ou que l'on n'arrive pas à utiliser ce temps pour éviter d'avoir à embaucher quelqu'un d'autre. Ces points, pourtant essentiels pour les directeurs financiers, sont rarement évoqués.
Tout le monde aime économiser sa force de travail et se décharger des tâches répétitives et ennuyeuses. Dès lors, tout ce que l'IA peut apporter comme possibilités allant dance ce sens suscite beaucoup d'intérêt. Le problème est que ce type d'assistance fournie aux salariés ne semble pas être rentable. Des DSI ayant analysé l'usage de l'IA générative dans leur entreprise ont indiqué que les outils basés sur cette technologie, conçus pour aider les collaborateurs à traiter des documents, des courriels, etc. ne permettaient pratiquement jamais d'économiser de l'argent. En revanche, les outils que leurs entreprises avaient essayés étaient soit gratuits, soit très bon marché. A ce titre, les mêmes responsables informatiques ont estimé qu'ils pouvaient permettre de gagner un peu de temps ou d'améliorer légèrement les résultats. Un DAF a aussi déclaré que la majeure partie de l'IA dont nous entendons parler est ce que nous pourrions appeler des « bonbons à l'IA ». Ou peut-être une autre hallucination de l'IA ?
Les économies liées à l'IA passent par le travail des DSI et des DAF
Il existe cependant de bons projets d'IA qui débouchent véritablement sur des économies financières. Ils impliquent généralement le DSI et passent par l'évaluation traditionnelle du DAF. Par exemple, presque toutes les entreprises qui ont essayé des chatbots nourris à l'IA pour l'assistance à la clientèle affirment qu'elle a amélioré le service et réduit les coûts. Pour ce type d'applications, les DSI n'ont erencontré aucune difficulté à faire une analyse de rentabilité. Dans le domaines des applications de gestion des réseaux, un peu plus de 80 % des DSI déclarent que leurs projets ont atteint les objectifs de retour sur investissement. Dans le même esprit, les trois quarts des entreprises qui hébergent elles-mêmes des modèles d'IA pour l'analyse commerciale déclarent que leurs projets ont atteint les objectifs. Pourquoi n'en entendons-nous pas parler ?
La réponse est, selon les DSI, qu'au début de l'adoption d'une technologie, c'est son potentiel qui retient le plus l'attention. L'IA générative est facile à utiliser, donc beaucoup de gens l'exploitent, et l'intérêt qu'ils en retirent suscite lui-même beaucoup d'attention. Les défis spécifiques de l'IA auto-hébergée n'intéressent qu'un petit nombre d'utilisateurs, trop petit pour attirer les lumières des projecteurs. En outre, le petit nombre d'entreprises réellement impliquées dans des projets d'auto-hébergement menés par les DSI signifie qu'il faut plus de temps pour exposer tous les vrais problèmes à affronter et pour répondre aux questions qui seront les plus critiques pour l'adoption de l'IA.
Les compétences manquent pour réussir des projets d'IA
Pour en revenir aux DSI, plus des trois quarts d'entre eux déclarent ne pas disposer des compétences nécessaires pour lancer des projets d'IA et les mener à bien. Quelques-uns admettent avoir embauché pour de tels projet et s'être rendu compte qu'il n'étaient pas rentables, qu'ils ne passaient pas l'audit de conformité, ou les deux à la fois. Apparemment, tous ces travaux sur l'IA générative dans les applications de productivité personnelle n'éduquent pas la main-d'oeuvre d'une manière qui permette de doter en personnel ces projets concrets qui permettent d'économiser de l'argent. Un DSI m'a dit qu'il y avait 20 sessions de formation offertes sur la rédaction de messages d'IA générative pour chaque cours sur l'hébergement d'applications d'analyse d'entreprise qui pourrait passer l'audit de conformité.
Le plus gros problème n'est peut-être pas celui de la conformité, mais celui du financement. Si l'IA consomme des centaines de milliers de GPU par an, obligeant les responsables des centres de données d'IA à rechercher frénétiquement l'énergie nécessaire pour faire fonctionner ces processeurs graphiques et les refroidir, quelqu'un paie pour construire l'IA, et il paie cher. Les utilisateurs signalent que la grande majorité des outils d'IA qu'ils utilisent sont gratuits. Permettez-moi d'essayer de comprendre : les fournisseurs d'outils d'IA dépensent beaucoup d'argent pour... donner des choses ? C'est un modèle commercial intéressant, que j'aimerais voir plus largement accepté. Mais soyons réalistes. Les fournisseurs sont peut-être prêts à payer aujourd'hui pour des bonbons à l'IA, mais à un moment donné, l'IA doit gagner sa place dans les portefeuilles des directeurs financiers des fournisseurs et des utilisateurs, et pas seulement dans leurs coeurs. Nous avons des projets d'IA qui y sont parvenus, mais la plupart des DSI et des DAF n'en entendent pas parler, ce qui rend plus difficile le développement des applications qui permettraient vraiment de rentabiliser l'IA.
La réalité de l'IA est donc noyée dans le battage médiatique. Vu sous cet ange, il semble donc bien que l'IA soit plus un mirage qu'une réalité. Toutefois, il faut mettre un bémol : des millions de salariés utilisent l'IA et, même si ce qu'ils en font actuellement n'est pas vraiment rentable, cela représente beaucoup d'activité. Est-il possible que quelqu'un, dans cette masse d'utilisateurs, découvre quelque chose qui crée suffisamment de valeur réelle pour payer toutes ces factures d'IA et faire des bénéfices ? Est-il possible que le simple fait que des millions de personnes demandent de l'IA finisse par contraindre les entreprises à accepter de payer pour les mêmes applications que celles dont les DSI et les directeurs financiers se moquent aujourd'hui ? Si c'est le cas, alors l'IA n'est pas une hallucination après tout. Et, cela pourrait prouver que ce sont les DSI et les directeurs financiers, et peut-être l'auteur cet article, qui hallucinent... mais je ne parierais pas là-dessus.
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