La tension entre les Etats-Unis et la Chine n'a jamais été aussi forte concernant les enjeux de domination technologique. (crédit : deeznutz1 / Pixabay)
Selon l'administration Biden, la domination de la Chine découle de pratiques anticoncurrentielles, de transferts de technologie forcés et des prix des puces inférieurs de 30 à 50 % souvent en deçà des coûts de production. Le plan de rebond des Etats-Unis s'avère aussi ambitieux qu'ardu à mettre en place.
Les États-Unis intensifient leur campagne pour contrer les ambitions de la Chine en matière de leadership technologique. Dans le cadre d'une enquête de grande envergure lancée par l'administration Biden sur la domination croissante de la Chine dans la fabrication de semi-conducteurs, le représentant américain au commerce (US Trade Representative, USTR) cherche à déterminer si les pratiques de la Chine, largement soutenues par l'État, constituent une concurrence déloyale mettant en péril les industries américaines et la sécurité nationale. « Les preuves indiquent que la Chine cherche à dominer les marchés nationaux et mondiaux de l'industrie des semi-conducteurs et met en oeuvre des moyens anticoncurrentiels et non commerciaux considérables, notamment en fixant et en poursuivant des objectifs de part de marché, pour parvenir à l'indigénisation et à l'autosuffisance », a affirmé le représentant américain au commerce dans un communiqué.
Les puces essentielles pour l'automobile, les systèmes de défense et les appareils médicaux, sont le dernier motif en date de la guerre technologique entre les États-Unis et la Chine, chacun s'efforçant de contrôler ce segment stratégique du marché des semi-conducteurs. « Compte tenu de la prévalence des semi-conducteurs dans toute notre économie, de l'électronique grand public et des voitures aux systèmes militaires et aux datacenters d'intelligence artificielle, nous demandons instamment au Bureau du représentant américain au Commerce de procéder délibérément et de travailler en étroite collaboration avec l'industrie tout au long du processus », a déclaré John Neuffer, CEO de la Semiconductor Industry Association (SIA), en soutien à la démarche du représentant américain au commerce. M. Neuffer a en outre suggéré que les dirigeants à Washington poursuivent un programme proactif et volontaire qui « développe la capacité nationale de fabrication et de conditionnement, renforce l'écosystème de recherche et de conception, et crée une nouvelle demande pour les puces fabriquées en Amérique, dans le pays et à l'étranger. »
Le pouvoir de marché croissant de la Chine
Les analystes soulignent que les sanctions portant sur les semi-conducteurs pourraient avoir un impact supplémentaire sur l'autosuffisance nationale et les protocoles d'exportation de la Chine. « L'accès aux sites de production des semi-conducteurs avancés étant déjà restreint, des sanctions supplémentaires visant les technologies matures comme les MCU, les processeurs d'application ou les composants de connectivité comme le WiFi, le Bluetooth et la radiofréquence (RF), pourraient avoir un impact significatif sur la Chine », a estimé Neil Shah, vice-président pour la recherche et partenaire de Counterpoint Research. « De telles mesures pourraient perturber l'autosuffisance de la Chine en matière de production et de consommation de semi-conducteurs, tout en compliquant les protocoles d'approvisionnement en puces à l'extérieur de ses frontières pour la fabrication de biens à l'intérieur du pays et pour l'exportation. »
D'ici la fin de la décennie et grâce à sa stratégie « Made in China 2025 », la Chine pourrait concentrer plus de 60 % de la capacité mondiale de production de puces d'ancienne génération. Selon l'USTR, ce plan, qui fixe des objectifs chiffrés pour la part du marché mondial, est soutenu par des milliards de dollars de subventions, des exonérations sur les salaires et des transferts de technologie dirigés par l'État. « Les preuves indiquent qu'en seulement six ans, la Chine a presque doublé sa part mondiale de capacité de production de semi-conducteurs logiques de base », peut-on lire dans le dossier d'enquête de la Section 301. « Sur la base des nouvelles usines de fabrication annoncées, la part de la Chine devrait atteindre environ la moitié de la capacité mondiale d'ici 2029. En outre, les projections montrent que la Chine sera en tête de la capacité de production pour d'autres types de semi-conducteurs anciens, comme les puces de performance. »
Pratiques déloyales et risques stratégiques
L'administration Biden a affirmé que la domination de la Chine découlait de pratiques anticoncurrentielles, des transferts de technologie forcés et des prix des puces inférieurs de 30 à 50 %, souvent en deçà des coûts de production, sans compter les cyber-intrusions. Katherine Tai, représentante américaine au commerce, a expliqué que ces prix artificiellement bas évinçaient les concurrents et consolidaient le contrôle de la Chine sur le marché. « Les actes, les politiques et les pratiques de la Chine semblent avoir et menacer d'avoir des effets préjudiciables sur les États-Unis et d'autres économies, sapant la compétitivité de l'industrie et des travailleurs américains, les chaînes d'approvisionnement essentielles des États-Unis et la sécurité économique des États-Unis », ajoute le communiqué. « Cette enquête souligne l'engagement de l'administration Biden-Harris à défendre les travailleurs et les entreprises américaines, à accroître la résilience des chaînes d'approvisionnement essentielles et à soutenir l'investissement sans précédent réalisé dans cette industrie », a fait valoir Mme Tai.
Au-delà de l'aspect économique, cette domination engendre des risques stratégiques importants. « Ces composants sont essentiels pour des secteurs comme l'espace, la défense et l'automobile, le constructeur automobile chinois BYD les utilisant pour assurer une production rentable de véhicules électriques », a expliqué M. Shah. « Même si les États-Unis disposent d'alternatives, celles-ci sont moins rentables, ce qui risque d'entraîner une hausse des prix des produits fabriqués aux États-Unis et de remodeler le paysage concurrentiel mondial. »
Les États-Unis en mode riposte
L'enquête de l'USTR, qui durera un an, examinera l'impact des politiques chinoises dans le domaine des puces sur les industries américaines. Il s'agira notamment d'évaluer les vulnérabilités dans les secteurs critiques, de la défense aux appareils médicaux, et d'enquêter sur le contrôle exercé par la Chine sur les substrats de carbure de silicium, un élément essentiel de la fabrication des semi-conducteurs. L'enquête s'inscrit dans le cadre d'actions plus larges déployées par l'administration Biden pour renforcer la chaîne d'approvisionnement américaine en semi-conducteurs grâce au CHIPS and Science Act, d'un montant de 52 Md$. Les experts ont prévenu que si l'on ne s'attaque pas à la manipulation du marché par la Chine, l'efficacité de ces investissements nationaux pourrait être compromise. Une audition publique est prévue en mars 2025, et la représentante américaine au commerce invite également l'industrie à contribuer à l'élaboration de stratégies visant à promouvoir l'adoption de puces produites dans le pays, en particulier dans les infrastructures critiques.
Selon les analystes, le succès de ces mesures dépendra de leur exécution minutieuse par la future administration Trump. « Il est peu probable que l'enquête aboutisse à une suspension abrupte des approvisionnements, car cela déstabiliserait la chaîne de valeur », a avancé Faisal Kawoosa, fondateur et analyste principal de Techarc. « La direction et l'impact de cette enquête dépendront largement de la manière dont la future administration Trump choisira de la poursuivre une fois en fonction. Même si une telle mesure peut perturber les chaînes d'approvisionnement existantes, il est peu probable que les approvisionnements soient brusquement interrompus, car cela risquerait de déstabiliser l'ensemble de la chaîne de valeur technologique. » M. Kawoosa pense cependant que « trouver des alternatives aux composants chinois, en particulier à des prix et des volumes comparables, constituera un défi de taille. » Selon M. Shah, les effets d'entraînement pourraient provoquer une restructuration majeure des chaînes d'approvisionnement et redéfinir le rôle de la Chine en tant que plaque tournante de la fabrication, à la fois pour ses besoins nationaux et pour les marchés mondiaux. « Les puces stratégiques restent essentielles pour les applications dans des secteurs comme l'espace et la défense, domaines que semblent viser les États-Unis, et l'industrie automobile, où des entreprises comme BYD s'appuient sur des technologies de semi-conducteurs avancées pour produire des véhicules électriques rentables pour les marchés nationaux et mondiaux », a fait remarquer M. Shah.
Une lutte pour le leadership technologique
Cette enquête sur les puces d'ancienne génération est le dernier point d'achoppement en date de la rivalité technologique croissante entre les États-Unis et la Chine, qui s'étend aux semi-conducteurs, à l'intelligence artificielle et à l'informatique quantique. Au début de l'année, la Chine a imposé des restrictions sur des matériaux de fabrication technologiques essentiels en représailles aux contrôles américains à l'exportation de puces avancées. Parallèlement, Pékin a lancé ses propres enquêtes sur des entreprises américaines comme Nvidia, soulignant ainsi la nature « tit-for-tat » (coopération-réciprocité-pardon) du conflit. Le président élu Donald Trump devrait poursuivre l'approche agressive de M. Biden. Il a proposé d'imposer des droits de douane allant jusqu'à 60 % sur les produits chinois, indiquant ainsi que les États-Unis maintiendront la pression sur les ambitions technologiques de Pékin sous son administration.
Pour les entreprises, les implications de cette enquête sont nombreuses : celles qui s'approvisionnent en puces d'ancienne génération en Chine pourraient être confrontées à une augmentation des coûts, à des ruptures d'approvisionnement ou à une surveillance réglementaire. La volonté de diversifier les chaînes d'approvisionnement et d'adopter des puces produites aux États-Unis peut donc présenter des opportunités mais aussi des défis logistiques, en particulier pour les industries qui dépendent de composants sensibles aux coûts. Dans sa déclaration, M. Neuffer, le CEO de la Semiconductor Industry Association, a appelé à une étroite collaboration entre le gouvernement et l'industrie, soulignant la nécessité d'une politique délibérée pour assurer la résilience des semi-conducteurs et un leadership durable sur les marchés mondiaux. L'enquête de l'USTR sur la domination de la Chine dans le domaine des puces n'est pas qu'un simple différend commercial : c'est une lutte pour le leadership technologique et la sécurité stratégique dans un paysage mondial en évolution rapide. Alors que Washington redouble d'efforts pour contrer les ambitions de Pékin, l'issue de cette enquête pourrait façonner l'avenir de l'industrie des semi-conducteurs et redéfinir l'équilibre des forces dans le monde de la technologie. Les gouvernements peuvent avoir besoin de « compenser » les entreprises qui ont été forcées d'adopter d'autres sources d'approvisionnement, souvent moins compétitives en termes de prix », a expliqué M. Kawoosa. Historiquement, l'approche consistant à « fermer le robinet » dans le commerce mondial s'est avérée problématique, car elle tend à créer des effets d'entraînement qui se répercutent sur toutes les parties. Y compris le pays à l'origine des restrictions.
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