Scission d'IBM : quels impacts pour les entreprises

Martin Schroeter est le CEO de NewCo et devra rassurer les DSI qui s'inquiètent de ce changement chez IBM. (Crédit Photo: IBM)

Martin Schroeter est le CEO de NewCo et devra rassurer les DSI qui s'inquiètent de ce changement chez IBM. (Crédit Photo: IBM)

A la fin de cette année, IBM va se scinder en deux avec une activité focalisée sur l'IA et le cloud et une autre dédiée aux infrastructures managées. Un tel changement peut avoir un impact pour les DSI et leurs partenaires qui s'interrogent sur la facturation, la capacité d'innovation et de réactivité de NewCo.

Depuis que Big Blue a annoncé, pour la première fois, la scission de ses activités d'infrastructure managée en société distincte afin de se consacrer à des marchés technologiques plus en vue comme l'intelligence artificielle et le cloud, les DSI qui dépendent d'IBM pour la gestion de leur infrastructure IT étaient dans l'expectative. Au cours des derniers mois qui se sont écoulés depuis l'annonce, le fonctionnement de la nouvelle entité s'est un peu précisé. IBM pense que NewCo pourra lui permettre d'offrir d'autres services dans des domaines comme la modernisation des infrastructures ou la gestion des données dans l'edge computing.

Une histoire marquée par les cessions d'activité La forte tendance de Big Blue aux désinvestissements stratégiques n'est pas étrangère aux clients d'IBM. L'entreprise qui est devenue IBM est née de la fusion de trois activités en 1911, mais en 1934, elle a vendu l'une d'entre elles, les machines de pesage, et en 1958, une autre, les horodateurs industriels, pour se concentrer sur la troisième, l'informatique. Depuis, le rythme des cessions s'est accéléré. IBM a vendu sa division impression en 1991 pour créer Lexmark. En 2002, elle a vendu son activité de disques durs, qui employait 18 000 personnes, à Hitachi Global Storage Technologies.

La cession de son activité de fabrication de PC a suivi : en 2004, Lenovo a racheté une participation de 90 % dans la division d'IBM, dont le chiffre d'affaires s'élevait à 9 milliards de dollars, et en 2014, Lenovo a également acheté son activité serveurs x86. La même année, IBM a versé 1,5 milliard de dollars à GlobalFoundries pour se désengager de son activité déficitaire de fabrication de semi-conducteurs.

Des fonds baptismaux généreux Lorsqu'en avril 2020, Arvind Krishna a succédé à Ginni Rometty au poste de CEO d'IBM, il avait déjà en tête son projet de scission. En effet, il avait déclaré au personnel que l'entreprise était alourdie par ses activités héritées de services d'infrastructure, et qu'elle devait se concentrer « de manière quasi maniaque » sur le cloud hybride et l'IA. Tout est devenu très clair en octobre 2020, quand le nouveau CEO a annoncé la séparation des activités de services d'infrastructure managés d'IBM dans une filiale distincte d'ici la fin de 2021. L'entité ainsi créée est dénommée NewCo pour l'instant, emploiera 90 000 des 350 000 personnels d'IBM et devrait générer des revenus annuels de 19 milliards de dollars grâce à ses 4 600 clients. Elle héritera d'un carnet de commandes de 62 milliards de dollars, ce qui lui assurera un bon départ dans la vie.

L'entité a déjà son CEO en la personne de Martin Schroeter, précédemment directeur financier et plus récemment, vice-président senior pour les marchés mondiaux, où il a dirigé les ventes mondiales de l'entreprise, qui a été débauché après avoir quitté IBM en juin 2020. Récemment, la société a annoncé d'autres nominations aux postes de direction de NewCo, notamment celle d'Elly Keinan, ancien d'IBM, comme président du groupe, et celle de Maria Bartolome Winans, comme directrice du marketing. En janvier 2021, lors de la communication des résultats d'IBM, M. Schroeter avait déclaré que les clients de NewCo « nous font confiance pour fournir certaines de leurs charges de travail les plus importantes dans des environnements difficiles » et que la prochaine entité continuera à investir dans sa technologie et ses équipes. Cependant, le modèle économique de NewCo reste à définir.

La création de la division des services d'infrastructure managés d'IBM date de quelques décennies, de l'époque de Samuel Palmisano. Elle répondait alors à une demande, de la part du marché, de support de services de bout en bout dans les environnements complexes des clients, et pas seulement ceux fonctionnant sur du matériel IBM. « Avec la vente des activités d'impression, de stockage, de PC et de serveurs x86, ces environnements sont inévitablement devenus encore plus multifournisseurs », a expliqué Bart van den Daele, directeur général des services d'infrastructure managés d'IBM, qui rejoindra NewCo plus tard cette année. « Aujourd'hui, le marché s'oriente vers le multicloud et le modèle as a service », a-t-il ajouté. Ce dernier fait aussi remarquer que 45 % du chiffre d'affaires de NewCo est déjà basé sur le cloud - et que cette part d'activité d'IBM ne correspond pas à la vision « maniaque » sur le cloud hybride prônée par Arvind Krishna.

Des modes de facturation inchangés, une localisation à déterminer
L'une des préoccupations des DSI concerne la facturation : ils se demandent en particulier s'ils devront modifier la manière dont ils gèrent leurs fournisseurs, si leur contrat de gestion d'infrastructure est transféré à NewCo, mais que celui-ci comprend la fourniture de matériel de marque IBM ou de logiciels et services de Red Hat. « Du point de vue de la facturation, il n'y a aucune différence », a affirmé M. Van den Daele. Les clients des services d'infrastructure qui reçoivent aujourd'hui une seule facture d'IBM continueront à recevoir une seule facture de NewCo, qui facturera à son tour IBM et Red Hat de la même manière qu'elle facture les autres fournisseurs. « Les clients qui reçoivent deux factures, sous des références comptables distinctes, pour les dépenses opérationnelles et les dépenses d'investissement, peuvent continuer à recevoir deux factures », a-t-il précisé. « Mais à l'avenir, l'une d'entre elles proviendra d'une entité juridique différente appelée NewCo », a-t-il ajouté.

Les clients peuvent également avoir besoin d'être rassurés sur le fait que NewCo ne va pas se délocaliser dans une juridiction qui pourrait être soumise à des embargos commerciaux ou à des restrictions sur les transferts de données personnelles. M. Krishna a déclaré qu'IBM souhaitait que la scission soit neutre sur le plan fiscal pour les actionnaires, ce qui rend probable le maintien de NewCo aux États-Unis. « Je pense que nous resterons très proches de là où nous sommes aujourd'hui », a déclaré Bart Van den Daele. « Si vous déménagez dans un endroit qui risque de surprendre le plus grand nombre, cette filialisation neutre sur le plan fiscal ne va pas fonctionner ».

Quid de l'innovation ?
IBM possède, à juste titre, une réputation d'innovation. Une fois de plus, en 2020, elle a été le premier bénéficiaire de brevets américains, avec 9 130 attributions, bien qu'elle ait tendance à vendre sa propriété intellectuelle (PI) : selon IFI Claims Patent Services, principal fournisseur de données sur les brevets pour les revendeurs et les innovateurs dans les secteurs de la recherche et des soins de santé, IBM ne détient que la deuxième plus grande quantité d'actifs de brevets, derrière Samsung. La scission signifie-t-elle que la prochaine entité sera séparée des laboratoires de recherche d'IBM, condamnant les services d'infrastructure gérés de NewCo - déjà considérés par certains comme l'activité historique d'IBM - à l'immobilisme technologique ?

« Le qualificatif d'historique est assez regrettable », a déclaré M. Van den Daele, qui semble se réjouir du travail à mener pour changer cette perception. « Les services d'infrastructure font partie de notre recherche, de nos laboratoires, de notre production de brevets. Au moment de la scission, nous annoncerons également le nombre de brevets que nous possédons, le type de propriété intellectuelle, et même potentiellement certaines choses que nous allons faire fructifier à l'avenir ».

L'entreprise dispose déjà de technologies de pointe pour gérer l'infrastructure de ses clients, notamment IBM MCMP, qui, selon M. Van den Daele, offre des capacités de gestion multicloud que peu d'entreprises peuvent proposer, et l'équipe chargée de l'infrastructure gérée a déjà développé ses propres technologies AIOps. Arvind Krishna veut se séparer des services d'infrastructure managés pour libérer le coeur de métier d'IBM et lui permettre de se développer, mais M. Van den Daele estime que NewCo peut également se développer. Ce dernier pense qu'à l'avenir, le marché des services d'infrastructure managés va se consolider, mais il n'a pas voulu commenter les projets d'acquisition de NewCo. À tout le moins, la future entité devrait être à l'abri de toute acquisition, étant donné qu'elle est deux fois plus grosse que son concurrent le plus proche.

Une croissance organique possible Mais il y a aussi beaucoup de place pour une croissance organique de l'infrastructure en tant que service, la sécurité et la résilience, la gestion des données ou la reprise après sinistre dans les services de niveau entreprise. Rien que dans le domaine de la gestion des données, M. Van den Daele entrevoit de grosses opportunités, car l'augmentation de la production de données sur l'edge dépasse la capacité de traitement centralisé. « C'est pourquoi, les applications devront se déplacer là où se trouvent les données », a-t-il déclaré. « Personne ne se rend compte de l'immense opportunité que représentent les services d'infrastructure, simplement pour s'assurer que les données sont hébergées de la bonne manière, qu'elles sont contrôlées de la bonne manière, que la cohérence et l'interopérabilité des données sont garanties », a-t-il encore déclaré. « C'est un marché énorme. Et la réversibilité est possible », a-t-il ajouté.

« Les entreprises qui exécutent des fonctions critiques dans le cloud doivent mettre en place une stratégie de reprise du contrôle si nécessaire », a-t-il déclaré. Selon lui, tous les fournisseurs de cloud, IBM compris, assimilent la haute disponibilité à la reprise après sinistre, et tous les DSI savent que ce n'est pas vrai. « Les hyperscalers proposent de plus en plus de racks de serveurs que les clients peuvent héberger sur site, en exécutant les mêmes logiciels que dans le cloud, mais cela ne suffit pas pour que les DSI se sentent en sécurité », a ajouté M. Van den Daele. « Il faut encore que quelqu'un soit là pour gérer ces datacenters et s'occuper de l'intégration des services d'infrastructure », a-t-il ajouté. « Alors, comment garantir aux entreprises qu'elles pourront récupérer leurs données, récupérer leurs applications et qu'elles pourront les exécuter ailleurs ? Ces questions vont continuer à se poser aux DSI ». Et c'est à ces questions que NewCo espère pouvoir apporter des réponses dans les années à venir.

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