C'est hier qu'a été entérinée la scission de Hewlett-Packard en deux entités distinctes HP Inc et Hewlett-Packard Enterprise. Le déclin de l'une des entreprises les plus respectées de la Silicon Valley est digne d'un film d'Hollywood. Il résulte de plus d'une décennie de scandales et d'erreurs. Avec ces deux nouvelles structures, le pari est désormais d'inverser quatre années de baisse des recettes.
HP a subi les énormes changements de l'industrie informatique, également à l'origine de la privatisation forcée de Dell et dont IBM ne sort pas indemne. La pression des investisseurs a contraint ces entreprises à agir. Mais l'histoire de HP est pleine de rebondissements dramatiques, de scandales, de valses de CEO. De plus, l'entreprise a réalisé l'une des fusions les plus désastreuses de l'histoire de la technologie, si bien qu'elle ne peut se considérer comme une simple victime de l'époque.
HP n'est pas hors course : L'entreprise peut encore faire changer d'avis les plus sceptiques et retrouver un peu de sa gloire perdue. Mais la scission n'est pas le moment le plus propice pour l'entreprise, considérée autrefois comme l'une des meilleures de l'industrie technologique. Voici quelques-uns des événements qui ont amené HP jusqu'au partage.
Carly Fiorina a géré l'acquisition de Compaq par HP, ici au salon Comdex de Las Vegas en 1999.
L'acquisition de Compaq : Tout a été dit sur le rachat en 2001 par HP de son principal rival dans le monde du PC. Mais l'histoire revient dans l'actualité depuis que Carly Fiorina, qui a dirigé Hewlett-Packard de 1999 à 2005, s'est lancée dans la course à la présidentielle américaine. Sans chercher à savoir si l'ancienne CEO a fait une erreur énorme, on peut dire que la transaction n'a pas permis d'assurer l'avenir de HP. Le choix fait par Dell de vendre des ordinateurs en direct changeait déjà la donne, et l'arrivée des tablettes et smartphones allait porter à HP un coup dont elle ne se remettra jamais. HP a misé gros sur un cheval perdant.
La mauvaise série noire : En 2006, HP a admis qu'elle avait embauché des enquêteurs privés pour espionner les membres de son propre conseil d'administration pour identifier la taupe qui livrait des informations sur l'entreprise à la presse. Finalement, les poursuites pénales contre les dirigeants de HP ont été abandonnées, mais dans l'opération Patricia Dunn a du laisser son siège de président du conseil d'administration et plusieurs cadres dirigeants ont perdu leur poste. Cette désorganisation est arrivée au moment où HP avait le plus besoin de se mettre au travail.
L'achat d'EDS : En 2008, HP a cru que le rachat d'une grande entreprise de services informatiques lui permettrait de se diversifier dans des domaines plus rentables, mais comme l'explique l'analyste d'IDC Crawford Del Prete, « le constructeur n'a jamais pu tirer la valeur attendue de cette transaction ». Peu de temps après, le marché a marqué sa préférence pour les petits contrats de sous-traitance et s'est détourné des gros contrats. Une fois encore, HP avait choisi le mauvais cheval. Et son département services a été mis à rude épreuve.
L'affaire Mark Hurd : Selon les observateurs, après Carly Fiorina, l'arrivée de Mark Hurd a introduit une nouvelle source de conflit chez HP. Il est indéniable que sa relation avec l'actrice Jodie Fisher, très présente dans des séries B, lui a coûté son poste et a déclenché une série d'événements désastreux pour HP. Il est moins facile de savoir si la politique de réduction de coûts initiée par Mark Hurd a freiné l'innovation et entrainé HP vers la chute. L'analyste Crawford Del Prete ne pense pas que ce soit le cas : selon lui, « Mark Hurd a réduit les dépenses, il était adoré par Wall Street, et il aurait probablement réinvesti une partie de ces économies à long terme », a-t-il déclaré. Quoi qu'il en soi, son éviction a marqué le début de la période la plus dommageable de l'histoire de HP. Mark Hurd a été contraint de démissionner, sur la simple base d'une affaire de notes de frais. Les erreurs commises par son successeur seront moins triviales.
Leo Apotheker n'est pas resté longtemps à la tête de HP mais a fait des dégâts.
Leo Apotheker, l'erreur de casting : A quoi pensait Léo Apotheker en arrivant chez HP ? C'est peut-être une question à poser encore au conseil d'administration qui l'a choisi. En 11 mois, l'ancien CEO de SAP, qui a succédé à Mark Hurd en septembre 2010, a réussi à faire beaucoup de dégâts. « Il avait vraiment le profil d'un responsable des ventes de logiciels et du marketing », a déclaré l'analyste d'IDC. « Il avait un marteau et tout est devenu un clou ». Quelques faits saillants de son mandat :
La débâcle Autonomy : Le New York Times avait déclaré que cette transaction « était le pire rachat jamais réalisé dans l'industrie », et il est difficile de nier qu'elle n'a pas contribué aux malheurs de HP. Le constructeur a déboursé 11,1 milliards dollars pour s'emparer de l'éditeur de logiciels anglais et a du déprécier son bilan de 8,8 milliards de dollars l'année suivante, admettant qu'il avait effectivement considérablement surpayé Autonomy. HP prétend qu'il a été trompé par la direction d'Autonomy, et les poursuites judiciaires sont toujours en cours, mais c'est aussi la preuve que HP s'est précipité dans un rachat sans savoir dans quoi il mettait les pieds. L'affaire a encore plus désorganisé l'entreprise et a fourni d'autres arguments aux investisseurs qui réclamaient le changement.
La bourde sur la division PC : En même temps que HP rachetait Autonomy, Léo Apotheker annonçait que HP envisageait de vendre sa division PC. En soi, l'idée n'était pas irrecevable - IBM avait fait de même sans regretter sa décision - mais l'indécision qui a prévalu autour de la question pendant plusieurs mois a provoqué une incertitude qui a fini par atteindre l'entreprise elle-même et par favoriser les concurrents. Léo Apotheker a également mis fin aux smartphones et tablettes sous webOS, acheté à Palm un an plus tôt pour 1 milliard de dollars. À une époque où les smartphones affichaient la plus forte croissance dans l'univers technologique, cette décision était pour le moins curieuse.
La valse des dirigeants : Après 11 mois seulement, le conseil d'administration de HP en a eu assez de Léo Apotheker et l'a remplacé par Meg Whitman. C'était le troisième CEO nommé à la tête de l'entreprise en 13 mois. La première décision de la nouvelle dirigeante a été d'annoncer que HP garderait finalement sa division PC. Meg Whitman ne semblait pas le meilleur choix pour l'entreprise, après ses 10 années consécutives passées chez eBay, mais on lui a reconnu d'avoir fait de son mieux pour mener une mission difficile.
La confusion sur le Cloud : La question de savoir si un fournisseur IT a besoin d'avoir son propre cloud public reste ouverte, mais il est aujourd'hui clair que HP n'en aura pas. Il y a quelques semaines, HP a annoncé qu'elle fermerait ses services cloud Helion en janvier, pour se concentrer davantage sur les infrastructures « hybrides » et les partenariats avec d'autres fournisseurs de cloud. Le cloud public de HP était une autre initiative de Léo Apotheker, et on peut se demander si HP n'aurait pas pu faire mieux que cela après quatre années d'efforts.
Les deux HP ont encore des atouts
Aucun de ces événements pris séparément n'est responsable de la situation de HP aujourd'hui. Le succès du cloud et l'effondrement du marché du PC ont joué un rôle, de même que la perte de vitesse des systèmes propriétaires haut de gamme Unix. L'échec du processeur Itanium (IA-64) d'Intel, sur lequel HP avait fortement misé en apportant les ressources de PA-Risc et d'Alpha, est aussi un revers majeur. Mais, malgré toutes ces erreurs, les deux nouvelles entités de HP qui génèrent chacune environ 50 milliards de dollars de recettes, restent des concurrents redoutables. HP Inc., qui devient responsable de la vente de PC et d'imprimantes, ne devrait pas afficher une croissance fulgurante, mais l'activité PC peut générer pas mal d'argent, comme l'a prouvé Michael Dell.
Quant à Hewlett-Packard Enterprise, plus centrée sur les services aux entreprises, le stockage, les réseaux et les serveurs, celle-ci n'a « jamais été aussi bien dirigée », selon Crawford Del Prete d'IDC. Selon lui, « la scission n'aura pas de conséquence pour les clients ». En clair, IDC ne leur conseille pas d'aller voir ailleurs. « L'important », dit encore l'analyste, « c'est de voir si Hewlett-Packard Enterprise sera capable de réaliser les bonnes acquisitions et de choisir les bons partenariats au cours des 24 prochains mois pour renouer avec la croissance ».
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