Softbank et Nvidia sont parvenus à un accord sur le rachat d'ARM pour un montant total de 40 milliards de dollars. Soumise aux approbations des autorités de la concurrence, cette acquisition suscite déjà des critiques et des interrogations. Pour la firme américaine, le rachat doit donner naissance à un géant des puces et adresser le marché de l'IA.
Dimanche soir, Nvidia s'est engagé à racheter ARM pour 40 milliards de dollars en cash et en actions, comme l'ont annoncé les deux entreprises. Cet accord hors norme entre deux géants de l'industrie des semi-conducteurs devrait renforcer le portefeuille de Nvidia dans le domaine de l'IA et des GPU, même s'il est certain que son impact sur le marché des smartphones sera examiné de près par les autorités antitrust. Selon l'accord, Nvidia paiera à Softbank, actuel propriétaire de ARM, un total de 21,5 milliards de dollars en actions Nvidia et 12 milliards en cash, dont 2 milliards payables à la signature. Nvidia émettra également 1,5 milliard de dollars en actions au profit des salariés d'ARM. L'entreprise pourrait également verser à Softbank jusqu'à 5 milliards de dollars en cash ou en actions si ARM atteint des objectifs de performance financière spécifiques, ce qui porterait le prix d'achat final à 40 milliards de dollars, la plus grosse transaction jamais réalisée dans l'industrie des processeurs.
L'opération, approuvée par les conseils d'administration des trois protagonistes ARM, Nvidia et Softbank, reste soumise à l'approbation des autorités réglementaires de Chine, du Royaume-Uni, de l'Union européenne et des États-Unis. Il est probable que dans le contexte de guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, cet accord suscitera une opposition de la part des autorités de Pékin.
ARM + Nvidia = IA ?
« L'intelligence artificielle est le plus puissant moteur technologique de notre époque et fait entrer l'informatique dans une nouvelle ère », a déclaré dans un communiqué Jensen Huang, fondateur et directeur général de Nvidia. « Dans les années à venir, des milliards d'ordinateurs équipés d'IA créeront un nouvel Internet des Objets, plusieurs milliers de fois plus vaste que l'Internet des personnes que nous connaissons aujourd'hui. Ce rapprochement permettra de créer une entreprise totalement engagée dans l'ère de l'IA ».
Nvidia, qui se considère autant, si ce n'est plus, comme une entreprise IA que comme l'un des principaux fournisseurs de GPU pour l'industrie des PC, a déclaré que la réunion des deux sociétés allait accélérer la transition de l'IA vers l'Edge, où les CPU et les capteurs basés sur les puces ARM transporteront, contrôleront et accéléreront aussi le flux de données entre les terminaux connectés. Dans une lettre adressée aux employés, M. Huang a déclaré que l'accord allait réunir « les capacités de traitement IA de Nvidia avec les vastes capacités CPU de ARM ». Ajoutant : « Nous allons saisir l'immense opportunité d'embrasser l'IA qui se présente à nous et faire progresser l'informatique du cloud, des smartphones, des PC, des voitures autonomes, de la robotique, de la 5G et de l'IoT ».
Mais ce sont les apports spécifiques des deux entreprises qui rendent l'accord si important. La transaction réunit deux des plus grands noms de l'industrie des processeurs : Nvidia, qui domine le marché des GPU, et ARM qui conçoit les processeurs de pratiquement tous les smartphones du marché. Selon Jon Peddie Research, au second trimestre 2020, 80 % des cartes graphiques pour PC tournaient sur des puces Nvidia. ARM vend ses designs processeurs sous licence à des entreprises comme Apple, Samsung et Qualcomm, à partir desquels elles créent leurs propres puces. Selon Nvidia, 180 milliards de puces basées sur les designs ARM ont été livrées à ce jour.
Quid de l'indépendance d'ARM ?
Sur le marché des GPU, Nvidia est en concurrence avec Intel et AMD, même si l'entreprise détient une part dominante de ce marché. Cependant, ARM n'a sans doute que peu ou pas de concurrence. Avec le rachat de ARM, Nvidia aura une position dominante sur le marché des smartphones, et s'offre aussi la possibilité de faire avancer ses propres initiatives d'IA. Probablement, des fabricants de puces comme Apple et Qualcomm pointeront ces positions dominantes dans deux secteurs de l'industrie du processeur, sans doute sans rapport entre eux, pour motiver leurs revendications anti-monopoles.
Nvidia a souligné pour sa part que, même après son rachat, ARM poursuivra son activité de concepteur de designs ouverts sous licence et ses relations avec ses licenciés dans l'industrie des smartphones. Nvidia a également déclaré que le nom et l'identité de la marque ARM seraient maintenus et qu'elle développerait son activité à Cambridge, en Angleterre, où se trouve le siège de la société. « La propriété intellectuelle d'ARM restera enregistrée au Royaume-Uni », a ajouté Nvidia.
Quelles implications pour ARM et Nvidia ?
D'après les analystes, l'accord Nvidia-ARM aura de profondes implications à court terme et pour les années à venir. « C'est l'une des acquisitions les plus importantes jamais conclues dans l'industrie des semi-conducteurs depuis très longtemps », a déclaré Bob O'Donnell, président, fondateur et chef analyste de TECHnalysis Research. « La plupart des gens vont mettre du temps à évaluer l'impact de cette acquisition, mais il est probable qu'elle aura un effet immédiat sur la réflexion stratégique de grands acteurs comme Apple et Qualcomm. Si, comme le laissent entendre les protagonistes, ARM reste une entité séparée, cela atténuera certainement l'impact, mais il est fort probable qu'en ce moment, Apple a de sérieuses discussions sur son projet de transition vers des processeurs basés sur ARM ».
« Du point de vue de Nvidia, cette stratégie est fantastique, car elle positionne très fortement le fondeur dans un certain nombre de domaines et lui donne enfin la propriété intellectuelle dans le CPU que l'entreprise recherche depuis si longtemps », a ajouté M. O'Donnell. « L'accord Nvidia-ARM est non seulement le plus gros contrat de semi-conducteurs en termes de prix - 40 milliards de dollars - mais c'est aussi celui qui, de mon point de vue, aura l'impact le plus important », a déclaré Pat Moorhead, analyste principal chez Moor Research. « Je pense que c'est un accord parfait dans la mesure où ARM est positionné dans des domaines où Nvidia ne perce pas ou n'a pas beaucoup de succès, et que, à l'inverse, Nvidia occupe des marchés où ARM ne réussit pas ou n'a pas beaucoup de succès.
« L'investissement de Softbank a permis à ARM de se développer sur les marchés des datacenters, de l'automobile, de l'IoT et des accélérateurs d'IA NPU », a ajouté M. Moorhead. « Donc, son rapprochement avec Nvidia ne peut que renforcer ARM tant que Nvidia respecte son engagement de laisser l'entreprise faire ce qu'elle fait le mieux, à savoir créer et concéder des licences de propriété intellectuelle de manière neutre sur le plan mondial ». Nvidia a également déclaré qu'elle investira dans un superordinateur IA de pointe, alimenté par ARM. Le fondeur prévoit aussi de créer un incubateur de start-up et des installations de formation pour les développeurs. Tout cela au siège d'ARM à Cambridge. « Cela inclut les processeurs ARM, les GPU Nvidia, et les unités de traitement de données de sa filiale Mellanox », a déclaré Nvidia.
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