Quelles stratégies la France doit-elle conduire en matière de logiciels libres et, plus largement, dans le domaine des NTIC. À l'occasion du salon Solutions Linux, des représentants de partis politiques ont fait des propositions.
Mardi 30 janvier, 11 h 30, dans un amphithéâtre du Cnit à Paris. Devant un auditoire d'une centaine de personnes, le débat est nourri entre les représentants de l'UMP, du PS, des Verts et du Parti communiste. Au coeur des échanges : la place des logiciels libres, et plus largement des nouvelles technologies, dans les politiques publiques, à quelques semaines de l'échéance présidentielle. 21 h 45, sur le toit de l'Arche de La Défense, après avoir offert un feu d'artifice à quelque deux cents invités, Éric Boustouller, président de Microsoft France, expose avec enthousiasme les espoirs que fonde l'éditeur sur Vista, son nouvel OS, tant en termes d'usage pour les utilisateurs que de source de richesse pour l'industrie. Le rouleau compresseur business est en marche, avec, en leitmotiv, deux chiffres : « Un euro de Vista, c'est douze euros de business généré. » Les deux temps forts de cette journée résument assez bien la façon dont sont appréhendées les nouvelles technologies en France. À la fois proches et éloignées des centres d'intérêt des responsables politiques. À quelques mois d'échéances électorales importantes, la question de la société de l'information reste étrangère aux débats présidentiels et législatifs. Certes, de timides initiatives sont prises pour tenter d'inscrire les libertés numériques et le logiciel libre dans la campagne (voir encadré ci-dessous). Mais leur portée est difficile à cerner. De fait, la table ronde organisée dans le cadre du salon Solutions Linux avait au moins le mérite d'ouvrir ce débat nécessaire. L'intervention de l'État préconisée En introduction, Christophe Espern, chargé des relations institutionnelles pour l'Association pour la promotion et la recherche en informatique libre, a fixé ce qui devrait être les grandes lignes d'une politique publique en faveur du logiciel libre et des conditions législatives et réglementaires de son succès. Selon lui, il est devenu nécessaire de mettre en place une politique publique, en commençant par publier le décret sur le référentiel général d'interopérabilité (au cours du débat, Bernard Carayon, député UMP du Tarn, a assuré que cela serait fait d'ici à quelques semaines), en veillant à ce que l'Éducation nationale ne forme pas les élèves que sur un produit, en l'occurrence celui d'un seul éditeur, mais sur un usage qui est satisfait par différentes solutions, quelle que soit leur part de marché. Christophe Espern a insisté également sur le fait que la contribution à l'élaboration d'une solution open source devait être assimilée à un don, non soumis à l'impôt. Autre point soulevé : la sécurisation de l'environnement juridique. Pour lui, si le brevet logiciel n'a pas été adopté, en revanche, la loi Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) crée un environnement hostile, via la lutte contre la contrefaçon du droit d'auteur. « Un lecteur de DVD doté d'un logiciel libre devient illégal. Son utilisateur peut être condamné à six mois de prison ferme et à une amende de 30 000 E », a-t-il alerté. Face à cette première prise de parole, les représentants des partis en présence avaient plus ou moins des réponses, précises et étudiées de la part de l'UMP et du PC, floues pour les Verts et le PS. L'indépendance technique en jeu Pour le député UMP Bernard Carayon, en charge pour Nicolas Sarkozy du dossier NTIC, les logiciels libres renvoient à la lecture que l'on veut faire de la mondialisation, dont le choix est entre « la subir ou la maîtriser ». Selon lui, « il est indispensable également d'examiner le fonctionnement des marchés et de regarder notre degré de dépendance, notamment vis-à-vis des monopoles ». Et de saluer la décision récente de Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, d'équiper en portables et logiciels libres les députés de la prochaine législature. « Notre volonté est de faire de la France le champion mondial du Libre. Cet enjeu n'est pas que technique mais aussi sociétal et stratégique. Il renvoie à définir une véritable politique industrielle pour nous assurer une véritable indépendance. » De son côté, Jérôme Relinger, maire adjoint du XIIIe arrondissement de Paris et animateur de la commission « révolutions numériques et société de la connaissance » au Parti communiste, a salué l'initiative des organisateurs du salon Solutions Linux de mettre de la « politique » dans le débat sur les NTIC, puisqu'il ne s'agit pas à ses yeux d'un simple « débat technique » mais d'une réflexion à conduire pour changer le « système », construire une « société de la connaissance où le contrôle démocratique visera au partage du savoir ». « Tout le monde déclare être pour les logiciels libres mais une majorité UMP au Parlement a voté la loi DADVSI, a insisté l'élu parisien. Il y a une crise du droit d'auteur dans laquelle deux modèles s'affrontent. Il faut repenser le contrat entre ceux qui produisent et ceux qui utilisent. De même, la politique publique revêt une importance fondamentale et il est nécessaire de l'assumer en tant que telle. » Pour sa part, Maurice Ronais, secrétaire national du PS aux NTIC, mal à l'aise pour présenter le programme de la candidate Ségolène Royal avant le 11 février, est resté évasif quant aux orientations qui seront prises si elle est élue. Quand l'UMP assure que son gouvernement réalisera un bilan de l'application de la loi DADVSI, Maurice Ronais assure qu'elle « sera remise à plat ». Il a précisé également que dans le projet socialiste, les NTIC n'occupent pas une place à part entière mais sont intégrées dans les thématiques abordées telles que les services publics, l'Éducation nationale ou l'aménagement du territoire. Quant à la problématique des logiciels libres, il s'est contenté d'assurer que Ségolène Royal en était consciente et qu'elle avait déjà eu l'occasion d'échanger ses vues sur la question avec Richard Stallman, le chantre de l'open source. Une politique aussi pour l'Europe La dernière partie de la table ronde a donné lieu à une série de propositions. Bernard Carayon a expliqué que l'UMP voulait voir créer, pour ceux qui participent à la chaîne de valeur du Libre, une validation des acquis en partenariat avec les chambres de commerce et d'industrie, de « favoriser l'apprentissage des NTIC dès l'école primaire sous un angle critique » (sic), de développer le pôle de compétitivité logiciels libres, de façon à ce qu'ils profitent à tous les autres, et de soutenir le projet de développement d'un microprocesseur européen en s'appuyant sur la communauté Flos. Pour le Parti communiste, Jérôme Relinger a affirmé que Marie-George Buffet était favorable à la création d'une agence du développement du logiciel libre et à une utilisation généralisée des formats ouverts. Elle entendrait aussi lutter contre la vente liée et contre les monopoles privés, tout en envisageant de recréer un pôle public des télécoms. Au-delà des divergences d'analyse, les participants, y compris l'UMP, ont reconnu le rôle essentiel de la puissance publique dans la construction d'une politique ambitieuse dans les NTIC en France, et, au-delà, en Europe. En écho de cette table ronde pétaradent le soir des centaines de fusées plaçant Vista sur l'orbite de la Grande Arche. En 2006, Microsoft a engrangé un chiffre d'affaires de 36,5 MdE et dégagé un bénéfice de 10,3 MdE. Inutile de dire que les moyens dont dispose Bill Gates face à cette forme, pour lui, de « communisme informationnel (sic) » sont considérables. Au-delà, la concurrence entre ces deux options logicielles se jouait aussi la semaine dernière sur le terrain de la communication. La rencontre entre Bill Gates et le maire PS de Lyon, Gérard Collomb, en marge du Salon des Entrepreneurs organisé la même semaine à Paris, pour signer un partenariat technologique, relativise de facto les prises de position des partis politiques et révèle la concurrence entre les capitales économiques. Entre Paris, capitale autoproclamée du Libre, et Lyon, ambassadrice du pragmatisme économique.
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