Le rapprochement HPE/Juniper porteur d'espoir et d'inquiétudes

Antonio Neri, CEO de HPE : « Cette transaction renforcera la position de HPE au point nodal de l'accélération des tendances macro-AI, élargira notre marché total adressable et favorisera davantage l'innovation pour les clients, car nous aidons à jeter un pont entre les mondes natifs de l'IA et natifs du cloud. » (Crédit Photo: JC)

Antonio Neri, CEO de HPE : « Cette transaction renforcera la position de HPE au point nodal de l'accélération des tendances macro-AI, élargira notre marché total adressable et favorisera davantage l'innovation pour les clients, car nous aidons à jeter un pont entre les mondes natifs de l'IA et natifs du cloud. » (Crédit Photo: JC)

Un nouvel ensemble formé par HPE et Juniper dans les réseaux pourrait partir à l'assaut de la position dominante de Cisco en mettant l'accent sur ses forces dans l'IA. Mais le rachat de Juniper suscite aussi des craintes en termes de chevauchement de produits, de rétention de talents et de conflits entre partenaires revendeurs.

Le projet d'acquisition de Juniper Networks par HPE, pour un montant de 14 Md$, pourrait bouleverser la dynamique concurrentielle sur le marché des réseaux informatiques. Il suscite également des inquiétudes parmi les clients de Juniper et ses partenaires prestataires de services. Les portefeuilles de Juniper et de HPE Aruba se chevauchant largement, les entreprises craignent en effet que certaines lignes de solutions soient consolidées ou éliminées. Sans compter que nombre de rachats de l'ampleur de celui qui se prépare ont eu des répercussions sur les roadmaps produits et les équipes de ventes et d'assistance des fournisseurs concernés. Quant aux partenaires, ils courent le risque de se voir embarquer dans des conflits entre canaux de distribution.

Une fois le rachat finalisé, ce qui pourrait ne pas se produire avant 2025, le paysage des réseaux pourrait changer de plusieurs façons. Les concurrents de Juniper, tels qu'Extreme Networks et Arista Networks, feront probablement pression pour s'emparer d'un segment plus important du marché « alternatif à Cisco ». Et une combinaison HPE/Juniper pourrait générer suffisamment de puissance de feu pour s'attaquer à Cisco lui-même, qui a été la puissance incontestée dans le domaine des réseaux pendant des décennies.

Préoccupations des clients

Alors qu'ils avaient conseillé aux clients de délaisser VMware en prévision de son rachat par Broadcom, les analystes sont beaucoup plus prudents s'agissant de celui de Juniper par HPE. Ils mettent plutôt l'accent sur le fait que les deux fournisseurs prennent des mesures proactives pour apaiser les inquiétudes des clients. « J'ai parlé aux clients de Juniper et il y avait initialement beaucoup de craintes », déclare Zeus Kerravala, analyste principal chez ZK Research. « Quels produits survivront ? À quoi ressemblera le portefeuille après la fusion ? L'inquiétude concerne même le devenir des équipes d'ingénieurs ». Mais ce dernier ajouté « J'ai été impressionné par la rapidité avec laquelle les deux entreprises ont parlé à leurs clients et leur ont expliqué qu'il n'y avait pas de plans immédiats pour supprimer des produits ».

L'analyste déclare même avoir discuté directement avec Phil Mottram, le vice-président exécutif et directeur général de la division Aruba de HPE, qui lui a assuré que si la décision était prise d'éliminer une solution redondante, les clients seraient prévenus suffisamment à l'avance. « Généralement, HPE donne un préavis de cinq ans pour la fin de vie d'un produit. Cela semble avoir apaisé les craintes des clients », explique Zeus Kerravala.

Où se situe les chevauchements ?

Malgré ces propos rassurants, l'examen approfondi des chiffres n'augure rien de bon pour de nombreuses lignes de produits de Juniper. Bien que Juniper existe depuis 1996 et qu'il se soit positionné comme l'alternative de choix pour les clients qui ne veulent pas être enfermés dans l'univers de Cisco, HPE détient en réalité une part de marché nettement plus importante que lui. Dell'Oro attribue à Cisco 43 % de part du marché global des réseaux d'entreprise, tandis que HPE n'en détient que 6 %. Mais la part de marché de Juniper n'est que de 3 %. Un rapport de Gartner dresse un tableau similaire, estimant à 24,1 Md$ le chiffre d'affaires de Cisco dans les réseaux d'entreprise en 2022, à 3,7 Md$ celui de HPE et à 2,1 Md$ celui de Juniper.

Selon Dell'Oro, HPE est deuxième en termes de parts de marché dans le WLAN, tandis que Juniper est septième. HPE est troisième dans la commutation de campus, Juniper est cinquième. HPE est sixième dans le domaine du routage d'entreprise, Juniper est douzième. Enfin, le chiffre d'affaires SASE de HPE est près de quatre fois supérieur à celui de Juniper.

Dell'Oro indique les seuls domaines qui se chevauchent et dans lesquels Juniper détient une part de marché supérieure à celle de HPE sont ceux des commutateurs pour centres de données d'entreprise et de la sécurité des réseaux. Pour ajouter à cette complexité, HPE propose certains produits que Juniper n'a pas à son catalogue, comme la 5G privée. À l'inverse, Juniper commercialise des routeurs pour fournisseurs de services et des pare-feu de nouvelle génération.

« Il existe un chevauchement important entre les portefeuilles de solutions réseaux de HPE Aruba et de Juniper », note Will Townsend, analyste principal chez Moor Insights and Strategy. « Il faudra procéder à une rationalisation sérieuse de la roadmap et il ne fait aucun doute que certaines solutions seront abandonnées », poursuit-il. Andre Kindness, analyste chez Forrest, souligne que l'ensemble HPE/Juniper Networks disposera de plusieurs lignes de produits de points d'accès sans fil, de systèmes d'exploitation de routage et de commutation redondants, et de plates-formes de gestion faisant double emploi. « Même si ce n'est pas pour tout de suite, des produits devront être supprimés », prédit-il.

Tout tourne autour de l'IA

Finalement, quel est le joyeux de la couronne de Juniper que convoite HPE ? La réponse est simple : la technologie d'IA que Juniper a acquise lors du rachat de Mist Systems en 2019 et intégrée à l'ensemble de son portefeuille de produits. De fait, chaque déclaration publique du PDG de HPE, Antonio Neri, sur l'acquisition de Juniper a tourné autour de l'IA. Lorsque l'opération a été annoncée en janvier, il a déclaré : « Cette transaction renforcera la position de HPE au point nodal de l'accélération des tendances macro-AI, élargira notre marché total adressable et favorisera davantage l'innovation pour les clients, car nous aidons à jeter un pont entre les mondes natifs de l'IA et natifs du cloud. » Lors d'une récente conférence téléphonique sur les résultats trimestriels de HPE avec les analystes de Wall Street, Antonio Neri a ajouté : « La combinaison de nos portefeuilles complémentaires va suralimenter la stratégie edge-to-cloud de HPE, en accélérant l'ensemble de notre portefeuille grâce à l'innovation basée sur l'IA. »

Andre Kindness affirme que Marvis, l'assistant de réseau virtuel alimenté par l'IA de Juniper, est « de loin la solution d'IA la plus avancée sur le marché des réseaux », avec une avance estimée à deux ans sur la concurrence. Et Will Townsend de souligner : « HPE a besoin d'une plus grande profondeur en matière d'IA pour rester compétitif. Juniper pourrait être à la hauteur sur ce front. »

Un paysage changeant

Ce n'est peut-être pas une coïncidence si le CEO de HPE a voulu s'emparer de Juniper juste après que Cisco a fait l'acquisition en fanfare de Splunk. Chuck Robbins, le dirigeant de Cisco, a déclaré que le rachat de Splunk permet au fournisseur de « révolutionner la façon dont nos clients exploitent les données pour connecter et protéger chaque aspect de leur organisation, car nous aidons à alimenter et à protéger la révolution de l'IA ». Antonio Neri rétorque qu'une pile Juniper/HPE consolidée, avec des pièces maîtresses comme l'interconnexion Slingshot de HPE, peut concurrencer Cisco sur toute la ligne.

En fait, avec l'acquisition de Juniper, HPE deviendrait véritablement une entreprise axée sur les réseaux, qui représenteraient 31 % de son chiffre d'affaires total. Sa branche réseaux deviendrait sa plus grande division et représenterait également 56 % du bénéfice d'exploitation, ce qui reflète les marges élevées de cette activité. C'est d'autant plus important que HPE a du mal à augmenter ses revenus dans les domaines des serveurs et du stockage. Son dernier rapport financier montre que l'entreprise a perdu 14 % de son chiffre d'affaires global d'une année sur l'autre. En outre, HPE a indiqué aux investisseurs que ses revenus de 2024 progresseront au mieux de 2 %. Juniper n'enflamme pas plus le monde de la finance. Son dernier bilan affiche une baisse de facturations trimestrielles de 6 %

Malgré la bravade d'Antonio Neri, affronter Cisco n'est pas une mince affaire, compte tenu de l'avance dont ce dernier dispose. Morgan souligne que même si l'entité combinée HPE-Juniper parvenait à maintenir l'intégralité de son chiffre d'affaires dans le domaine des réseaux - sans aucune cannibalisation - elle représenterait toujours moins d'un quart de la part de marché de Cisco.

Arista Networks et Extreme Networks ont beaucoup à gagner

En ce qui concerne l'industrie des réseaux au sens large, Zeus Kerravala estime qu'Arista Networks et Extreme Networks ont le plus à gagner. Selon lui, Arista Networks s'est positionné comme l'alternative haut de gamme à Cisco et s'efforce de descendre en gamme. Extreme Networks a intégré avec succès ses acquisitions d'Avaya, de Brocade et d'Aerohive et « le moment ne pourrait être mieux choisi, car leurs produits sont maintenant en excellente position pour affronter la concurrence ». Andre Kindness pense aussi qu'Arista Networks en bénéficiera, en notant qu'il se distinguera par son « orientation réseau claire et succincte ».

Vue sous un autre angle, l'acquisition de Juniper renforcerait les armes de HPE contre Dell, avec qui il est notamment en concurrence auprès des clients qui veulent un guichet unique capable de fournir la pile d'infrastructure complète, comprenant des ASIC, des équipements réseaux, du matériel informatique, des logiciels, de l'IA et des services. « HPE aurait un avantage marqué sur son plus grand concurrent, qui lutte en ce qui concerne les réseaux », déclare Sian Morgan. Townsend ajoute que l'acquisition de Juniper donnerait également à HPE une meilleure opportunité de concurrencer Dell sur les marchés des fournisseurs de services et des infrastructures télécoms, en particulier avec les opérateurs de réseaux mobiles.

Comme pour toute acquisition de cette ampleur, tout se résume à l'exécution. Si l'on se fie à l'histoire, Cisco a certainement de meilleurs antécédents que HPE, bien que la récente acquisition d'Aruba par HPE ait été couronnée de succès.

L'exécution du rapprochement sera fondamental

« Le succès final de l'acquisition se mesurera à la rapidité et à l'habileté avec lesquelles HPE intégrera Juniper », explique Andre Kindness. « Cette transaction amènera des mouvements sur de nombreux points, notamment la rationalisation de la feuille de route produits, la rétention des talents et la reconstitution du programme partenaire. Cependant, si HPE réussissait, il pourrait considérablement améliorer ses positions sur le marché adressable des réseaux d'entreprise et renforcer en même temps la compétitivité de son activité de fournisseur de services de communication. »

Sian Morgan résume la situation de la manière suivante : « Le véritable test est de savoir si les entreprises peuvent tirer parti des capacités d'IA de Juniper et des canaux de distribution bien développés de HPE pour conquérir de nouveaux clients. Si l'entreprise combinée y parvenait, elle pourrait bien devenir à terme une menace pour Cisco, même avec la formidable avance de ce dernier. »

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