La tentative de rachat par Adobe de Figma pourrait devenir caduc si la Commission européenne s'y oppose. (Crédit : Figma)
La Commission européenne a informé Adobe de son avis préliminaire selon lequel son projet d'acquisition de Figma est susceptible de restreindre la concurrence. De son côté, la CMA anglaise enquête toujours sur le rachat. Adobe, qui n'a pas commenté la situation, semble dans l'impasse.
Plus d'un an est passé, et pourtant, l'acquisition de Figma par Adobe n'est toujours pas finalisée. En cause : l'enquête approfondie menée par la Commission européenne qui a donné lieu à la publication ce 17 novembre 2023 d'un avis préliminaire selon lequel ce rachat « pourrait réduire la concurrence sur les marchés mondiaux de la fourniture de logiciels de conception de produits interactifs et d'autres logiciels de conception créative ». Si le délai peut paraître étonnamment long - l'annonce du rachat ayant été faite en septembre 2022 - il s'agit pourtant du processus réglementaire suivi par l'exécutif bruxellois. Rappelons que l'opération a été notifiée à Bruxelles le 30 juin dernier après avoir été renvoyée à la Commission par 16 pays conformément à l'article 22 du règlement de l'UE sur les concentrations. La Commission a ensuite ouvert une enquête approfondie le 7 août 2023 et a maintenant jusqu'au 5 février 2024 pour prendre une décision finale. Ainsi, l'enquête avait pour objectif d'évaluer le projet d'acquisition et de déterminer si l'opération « était susceptible d'affecter la concurrence sur les marchés mondiaux de la fourniture de logiciels de conception interactive de produits, de logiciels d'édition vectorielle et de logiciels d'édition matricielle », précise l'institution européenne. Un détail, qui a son importance, pouvait en effet faire pencher la balance en faveur d'une concentration et d'une entrave à la concurrence ; il s'agit du montant exorbitant - 20 milliards de dollars - que s'est vu proposer Figma pour passer sous le giron d'Adobe. De fait, la Commission s'est intéressée de près à cette opération.
L'institution européenne n'est pas le seul organe à avoir ouvert une enquête. Le 3 mai dernier, la CMA (competition market authority) anglais annonçait avoir lancé une enquête de phase 1 sur le rachat de Figma par Adobe. Après deux semaines laissées aux deux parties pour faire part de leurs observations, la CMA a décidé, « sur la base des informations dont elle dispose actuellement, qu'il est ou pourrait être probable que cette fusion pourrait entraîner une diminution substantielle de la concurrence au sein d'un ou plusieurs marchés au Royaume-Uni. Cette fusion fera l'objet d'une enquête de phase 2, à moins que les parties ne proposent des engagements acceptables pour répondre à ces problèmes de concurrence ». La phase 2 a donc débuté en juillet dernier et son délai statutaire est fixé au 25 février 2024.
Une issue peu favorable pour l'opération d'Adobe
À l'issue de cette enquête approfondie, la Commission est donc bel et bien parvenue à la conclusion préliminaire que l'opération pourrait réduire sensiblement la concurrence sur les marchés mondiaux cités plus haut. En ce qui concerne la fourniture d'outils de conception de produits interactifs, Figma est considéré comme un « leader incontesté du marché et Adobe l'un de ses principaux concurrents » aux yeux de Bruxelles. En conséquence, l'opération est susceptible de créer un acteur dominant en combinant ces positions sur le marché. En outre, elle entraînera l'abandon de l'outil de conception de produits interactifs d'Adobe, XD, ainsi que de toute autre solution susceptible de lui succéder, et constituera donc ce que l'on appelle une « acquisition à l'envers » (reverse killer acquisition). En éliminant également Figma du paysage des outils d'édition vectorielle et outils d'édition matricielle, Adobe ne manquera pas de renforcer sa position sur ces marchés, notamment via Photoshop et Illustrator. « En outre, en l'absence d'opération, Figma a de fortes chances de pénétrer sur ces marchés et de devenir une force concurrentielle efficace » complète la Commission.
Si cette communication des griefs est une étape formelle d'une enquête, au cours de laquelle la Commission informe par écrit les entreprises concernées des griefs retenus à leur encontre, son envoi ne préjuge pas de l'issue de l'enquête. Adobe a maintenant la possibilité de répondre à cet avis, de consulter le dossier de la Commission et de demander une audition. Toutefois, avec la CMA et la Commission européenne penchées sur le dossier, l'opération risque fortement de devenir tout simplement caduque. Affaire à suivre donc.
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