Gurvan Meyer, analyste chez Context : « Après une fin d'année 2019 décevante, le channel IT a de bonnes chances de voir au moins quelques améliorations dans son activité au cours des 12 prochains mois. »
Prudence des entreprises et rationalisation des achats, manque d'innovation, pénurie de processeurs... L'analyste de Context Gurvan Meyer revient sur les raisons pour lesquelles l'année 2019 n'a pas réussi au marché des infrastructures IT.
Les marchés européens du stockage et des serveurs ont connu des jours meilleurs que ceux qu'ils ont traversé l'an dernier. Au cours du deuxième semestre 2019, les baisses de livraisons et de revenus qu'ils ont enregistrés ont inquiété bon nombre d'acteurs du channel IT. Le niveau décroissance des ventes a même été plus fort entre octobre et décembre derniers que lors du quatrième trimestre 2017. Que s'est-il passé ?
Les difficultés économiques et politiques qu'ont connu le vieux continent et le monde figurent, bien sûr, parmi les éléments qui ont joué contre la croissance. Elles ont contraint certaines entreprises à différer leurs dépenses, avec pour effet logique d'amoindrir les performances du marché des infrastructures. Mais, cela n'explique pas tout. Il existe plusieurs autres facteurs qui se sont avérés incontestablement plus délétères.
L'évidence de la rationalisation
En 2017 comme en 2018, les segments des serveurs et du stockage avaient enregistré de bons résultats. Mais, beaucoup de clients ayant alors investi dans ces équipements l'ont peut-être fait sans estimer correctement leurs besoins. Selon Gartner, en effet, seuls 56% des capacités de stockage des data centers étaient utilisés en 2018. Et, près d'un tiers des serveurs étaient encore sous-exploités, voire pas exploités, pas plus tard qu'en juillet 2019. Associés aux incertitudes pesant sur l'économie, ces sous-usages ont amené les entreprises à regarder de plus près les niveaux d'exploitation de leurs infrastructures IT avec l'objectif d'éviter un surprovisionnement.
Une part importante des organisations satisfait désormais la demande interne en gérant les ressources existantes de façon plus efficace, plutôt qu'en acquérant davantage de capacités de calcul et de stockage. Elles comprennent désormais les avantages d'une architecture logicielle efficace chapotant une infrastructure matérielle elle-même efficiente. En outre, des innovations telles que l'intelligence artificielle, le machine learning et la virtualisation contribuent elles-aussi à l'optimisation des ressources informatiques déjà en place. La recherche de gains d'efficacité des entreprises fait aussi écho à leur prise de conscience de plus en plus importante de l'impact des data centers sur l'environnement.
Pas de bonds technologiques à signaler
2019 aura été aussi une année sans innovation technologiques notable, qui aurait incité les clients à mettre à jour leurs infrastructures IT. Un exemple : Comparés aux processeurs disponibles sur le marché il y a 5 ans, ceux d'aujourd'hui ne sont pas si différents en termes de puissance, bien qu'ils soient moins énergivores et disposent de plus de coeurs.
Si cela n'était pas suffisant, la pénurie généralisée de CPU Intel est venue elles aussi affecter plusieurs segments du marché informatique l'année passée. Jusqu'au dernier trimestre 2019, les ventes de serveurs avaient plus ou moins échappé aux effets de cette insuffisance de processeurs. Intel donnait alors la priorité à la production de composants haut-de-gamme. En dépit de cet effort, plusieurs fabricants de serveurs craignent maintenant que la faiblesse de la production commence à toucher leur activité. Le manque de disponibilité de plusieurs références les oblige en effet à proposer des modèles équipés de puces plus chères à certains de leurs clients.
Si la pénurie de puces a entraîné une hausse des prix et des revenus globaux issus de leurs ventes, elle n'a pas eu le même effet sur d'autres marchés de composants. En 2019, les chiffre d'affaires des marchés du SSD, du disque dur et de la RAM ont reculé de plus de 30%. A lui seul, le prix du giga de SSD a baissé de 50% en l'espace de 12 mois. L'impact a été inévitable sur les tarifs des équipements d'infrastructures et du marché que ces produits constituent.
La cloudification nuit aux fabricants, surtout au moins gros
Beaucoup d'entreprises opérant leur transformation digitale migrent vers le cloud. Tant mieux pour elles mais pas pour tous les fabricants d'équipements pour data centers. La migration des clients vers un nombre resserré de fournisseurs de services hébergés tend à bénéficier aux grands fabricants de produits d'infrastructure. Normal, puisque ceux-ci sont plus à même de faire des affaires avec les grand opérateurs de cloud car capables de supporter des marges plus faibles. Ils captent en contrepartie une part plus important des revenus de leurs marchés.
Les grossistes semblent être de plus en plus frustrés par les nouveaux modèles de consommation des infrastructures IT que proposent par exemple HPE avec GreenLake, Dell avec Flex On Demand et Lenovo avec TruScale. La faute aux fabricants eux-mêmes qui semblent peu concernés par le recul de la moyenne des ventes qu'ils réalisent à travers leurs distributeurs. Ils donnent ainsi à penser que leurs ventes directes progressent sans qu'ils ne cherchent à impliquer leurs réseaux de distribution. Il est pourtant vital que les fabricants clarifient les prix et résolvent les problèmes contractuels associés à ces modèles de consommation à la demande aussi vite que possible, s'ils veulent apaiser les tensions avec leurs partenaires.
L'espoir est permis pour 2020
Maintenant que l'analyse du passé a été faite, que va-t-il se passer en 2020 ? Malgré le fait que la pénurie de processeurs Intel semble devoir se poursuivre, tout n'est pas sombre. En premier lieu, parce que le volumes de gigaoctets vendus par les grossistes continue de croître. D'autre part, parce que les volumes de données que les entreprises doivent gérer continue de croître de façon exponentielle eux-aussi. Enfin, parce que les prix des composants ne peuvent pas chuter indéfiniment, et que tout mouvement vers leur stabilisation aura un impact positif sur le chiffre d'affaires du marché des infrastructures IT cette année.
Il faut également ajouter que l'optimisation logicielle crée beaucoup d'opportunités pour les revendeurs, avec à la clé la possibilité d'effacer leurs pertes en termes de vente de matériels. Des fournisseurs tels qu'IBM et RedHat ont réalisé de bons résultats l'an dernier, ce qui témoigne du bien-fondé de cette approche du management des infrastructures de data centers. Nous sommes aujourd'hui dans une ère définie par la logiciel, et les fournisseurs doivent s'adapter à cette réalité. Les rachats d'éditeurs auxquels ont procédé Dell EMC et HPE montrent que la diversification est clé dans la survie des fabricants d'équipements traditionnels.
Le dénouement du Brexit qui se rapproche ainsi que les prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis peuvent par ailleurs restaurer la confiance des entreprises d'ici la fin de l'année. S'ils reprennent effectivement leurs investissements, après avoir expérimenté la surévaluation de leurs besoins, les clients le feront plus intelligemment.
Pour le dire simplement, après une fin d'année 2019 décevante, le channel IT a de bonnes chances de voir au moins quelques améliorations dans son activité au cours des 12 prochains mois.
Suivez-nous