Pourquoi diable une entreprise de matériel et de puces comme Broadcom achèterait-elle une entreprise de logiciels comme VMware ? (Crédit Google)
Associées aux logiciels VMware, les puces réseau de Broadcom pourraient servir de pont pour relier les applications des datacenters au cloud.
Certes, Wall Street et les analystes du secteur n'ont pas vraiment sauté de joie à l'annonce du raid de Broadcom sur VMware. Bien sûr, il arrive que les entreprises fassent des choix stupides. Mais ce n'est peut-être pas du tout le cas de ce rachat. Il est possible que le projet de Broadcom réponde aux changements fondamentaux de l'industrie, tant dans l'informatique que dans les réseaux. Car si le cloud a apporté beaucoup de choses à l'informatique, l'un des aspects les plus importants du cloud a été négligé : il a donné une identité aux applications. Depuis l'avènement du cloud, on parle de frontaux d'application qui personnalisent les informations sur les clients, les partenaires et les travailleurs ; on parle d'hébergement des applications, de leur orchestration, de leur visibilité et de leurs performances.
Avant le cloud, le datacenter était le point central, la ressource qui faisait tout fonctionner. Aujourd'hui, la virtualisation et le cloud ont recentré notre attention au bon endroit, à savoir sur les applications qui soutiennent les entreprises. Le cloud a également amplifié une tendance dans le domaine des réseaux qui a débuté il y a plusieurs décennies avec les VPN. Aujourd'hui, les entreprises ne construisent pas de réseaux étendus, elles s'y connectent. Depuis les VPN, l'approche consistant à acheter des noeuds de routeur et à connecter des lignes louées est remise en question, et l'intégration naturelle entre le cloud et Internet nous éloigne encore plus (et plus rapidement) des équipements WAN. Aujourd'hui, dans certaines entreprises, on accède à un service, on ne le construit pas.
Cloud hybride : le frontal de l'application
Mais, comme l'a prouvé IBM, le cloud n'est pas toute l'informatique. L'entreprise a pris le contre-pied de la tendance technologique récente, en grande partie à cause de l'accent mis par IBM sur le cloud hybride. Ce modèle d'hébergement d'applications utilise le cloud comme interface utilisateur frontale pour les applications existantes qui fonctionnent toujours dans le datacenter et exploitent des données d'entreprise critiques, également stockées dans le datacenter. Le cloud hybride nécessite un accès au cloud - une fonction réseau - mais aussi des connexions au sein du datacenter. C'est un facteur de changement dans le réseau du datacenter. Les entreprises construisent leurs propres réseaux de datacenters. En fait, le réseau du datacenter est désormais le lien critique dans le cloud hybride, car c'est lui qui relie les éléments frontaux et dorsaux des applications, les applications les plus critiques d'une entreprise. Toutes les données critiques empruntent la connexion entre le cloud et le datacenter. C'est aussi le portail par lequel l'orchestration du cloud hybride est contrôlée. Tout passe par le réseau du datacenter.
La tendance en matière de réseau, l'abandon du réseau WAN étendu, signifie que le réseau du datacenter est probablement le seul véritable réseau que construira une entreprise. C'est d'ailleurs dans ces biens d'équipement qu'investissent les entreprises. C'est là aussi qu'elles peuvent réaliser leurs opérations en pleine responsabilité. C'est également là, dans les applications, qu'est ancré le cloud hybride. Le datacenter et son réseau en sont la cheville ouvrière. Les puces de commutation de Broadcom dominent déjà le datacenter en boîte blanche et la commutation SDN, et elles visent désormais la connexion des applications. C'est là qu'intervient VMware. En combinant les puces qui constituent la base d'un réseau de datacenter et les logiciels qui créent la plate-forme d'applications, Broadcom dispose d'une position solide à deux niveaux technologiques charnières du cloud hybride. L'autre niveau étant, bien sûr, le cloud.
Cloud contre cloud hybride
Supposons que le cloud soit l'avenir de l'informatique, mais supposons qu'IBM ait raison de penser que le cloud hybride est le meilleur modèle de cloud. Cela signifie que le datacenter, ses plates-formes et ses applications sont plus importants qu'on ne le pensait. Ils sont peut-être plus importants que la composante « cloud » du « cloud hybride ». Tout le marketing, toute l'attention des médias, tout l'intérêt des développeurs ont été dirigés vers cette composante « cloud », reléguant le datacenter à une place de figurant. On dit souvent que la nature a horreur du vide, et tout ce désintérêt et ce défaut d'attention pour le datacenter semblent en avoir créé un. Alors que tout le monde se concentre ailleurs, ne serait-ce pas le bon moment pour élaborer une stratégie puissante pour le datacenter ? Supposons que oui, et supposons que c'est ce que fait Broadcom. La quasi-totalité des applications et des données critiques se trouvent encore dans le datacenter. Les dirigeants d'entreprise disent que cela ne changera pas de sitôt, si tant est que cela change un jour. Ils disent que l'état d'esprit actuel centré sur le cloud résulte à la fois de l'attention des médias, de l'absence de nouveautés et du fait que le développement et la planification des nouvelles technologies se concentrent sur la composante « cloud » du cloud hybride, qui est également nouvelle. Or, ce avec quoi le cloud s'hybride est peut-être bien l'élément important.
À un moment donné, le cloud deviendra banal. Les médias passeront à l'informatique quantique, à l'informatique du neutrino ou à quelque chose d'aussi ésotérique. Les applications et les données qui ancrent le cloud hybride resteront et le datacenter perdurera, lui aussi. En allant plus loin dans les suppositions, on peut se dire que c'est ce qu'a compris IBM. Supposons encore que les fournisseurs de cloud l'aient pareillement compris. Supposons qu'une technologie de plate-forme commune pour les applications dans le cloud et le datacenter va devenir essentielle, ce qui explique pourquoi ils travaillent tous d'arrache-pied pour étendre leurs technologies de plate-forme au datacenter. Or, VMware dispose des outils de gestion des infrastructures nécessaires pour y remédier. Supposons enfin que la mise en réseau du datacenter soit l'autre élément critique. Les puces Broadcom pourraient en être la clé. Avec une seule acquisition, Broadcom ferme la boucle.
Voilà 70 ans que l'informatique fait tourner les datacenters. Ce dernier a subi transformation après transformation, l'informatique a connu une croissance régulière avec une surcouche virtualisation pour la gestion des infrastructures. L'informatique distribuée ou l'informatique personnelle étaient censées y mettre fin, or ils sont toujours là, et encore critiques, et le réseau des datacenters est à la fois là et critique, aussi. L'acquisition de VMware ne garantira pas le succès de Broadcom dans ce domaine, mais c'est une possibilité.
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