Des douzaines de candidats militant pour la protection des données privées et la neutralité du net vont siéger au parlement européen.
Les élections des 766 représentants qui vont siéger au parlement européen se sont déroulées entre jeudi et dimanche derniers, parallèlement à la tenue de scrutins locaux et nationaux dans certains des 28 pays de l'Union. Pour la première fois, des problématiques liées au numérique ont figuré en bonne place dans les programme de campagne des candidats. Plus de 400 d'entre eux ont plaidé pour la défense de la neutralité du net et la protection des données privées, en signant notamment la charte en 10 points des droits numériques baptisée WePromiseEU. Lundi après-midi, alors que le comptage des votes n'était pas encore terminé dans tous les pays, 55 candidats au parlement ayant paraphé cette charte étaient déjà définitivement élus.
« Il est remarquable qu'autant de candidats et de citoyens considèrent que leurs droits civiques en rapport avec le numérique méritent d'être défendus, et qu'ils se montrent près à s'engager pour faire appliquer la charte », déclare Joe McNamee, le responsable de l'organisation de protection des droit numériques European Digital Rights (EDRi). « Il est maintenant de notre devoir à tous de nous assurer que les candidats élus au parlement vont respecter leur promesse et promouvoir ces valeurs auprès de leurs homologues », ajoute-t-il.
La charte WePromiseEU engage notamment ses signataires à combattre l'idée selon laquelle les FAI devraient être tenus de contrôler les téléchargements illégaux et à ne pas soutenir des mesures de surveillance globales et incontrôlées. Elle fait également promettre à ses partisans d'essayer de s'assurer que les technologies de surveillance informatique développées par des sociétés présentes dans les pays de l'Union Européennes ne soient pas vendues à des régimes non démocratiques.
Appel à la création d'un comité pour le numérique au parlement
« Les députés nouvellement élus sont plus sensibles aux problématiques liées aux technologies et je suis heureux que des efforts soient entrepris pour infléchir les exportations de solutions de surveillance », indique Maritje Schaake, réélue député du parlement européen aux Pays-Bas sous l'étiquette de l'ADLE (Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l'Europe). La parlementaire appelle à la création d'un comité pour le numérique au sein de l'organe parlementaire. Il faut savoir qu'au parlement la procédure d'examen des lois soumises à son vote nécessite que différents comités interviennent. Or, bien qu'il existe des comités dédiés au commerce, à la justice et aux affaires intérieures, il n'en existe aucun entièrement dédié aux technologies.
La député Maritje Schaake espère en outre que les règles sur la neutralité du net approuvées par le parlement européen dans le cadre de la révision du paquet télécoms ne seront pas détricotées, même si deux des représentants du Parti Pirate suédois n'ont pas été réélus. Ce dernier dispose toutefois d'un nouveau membre dans l'assemblée en la personne de l'allemande Julie Reda.
« Le pari pirate est le seul à avoir positionné la question du droit d'auteur comme l'une des priorités de son agenda. Cependant, le fait qu'il ait perdu des sièges va minimiser son impact, indique Glynn Moody, un bloggeur spécialisé sur le sujet. Nous devrions tout de même voir une montée d'intérêt autour de ce thème mais à un rythme très modéré. » La commission Européenne, qui dispose du pouvoir exécutif en Europe, passe actuellement au crible des milliers de commentaires sur sa consultation visant à édicter de nouvelles règles en matière de droit d'auteurs qui sera présentée au parlement. « Le débat sera largement dominé par de nouvelles voix, que ce soit du côté des pro et des anti droits d'auteurs, puisque ni Marielle Gallo and Arlene McCarthy (pro) ni Christian Engström et Amelia Andersdotter (anti) du Parti Pirate n'ont été réélus », précise Ross Biggan, le directeur de l'association des chaînes de télévision privées européennes.
A l'issue des élections, le PPE (parti populaire européen) constitue le groupe politique le plus important au parlement (212 sièges), devant les sociaux démocrates et leurs 186 élus. Les deux formations ont toutes deux perdu des élus. A l'inverse, les groupes anti-Union, qui demandent un recul des pouvoir des institutions européennes, ont gagné des représentants. « Il sera plus difficile pour la commission de promouvoir des projets d'harmonisation ambitieux auprès d'un parlement qui lui est plus opposé. Mais si toutes les composantes europhobes parviennent à coordonner leur action, elles pourraient parler d'une voix crédible », estime Ross Biggan.
Schulz et Junker ont soutenu la protection des données privées
Les dernières élections européennes ont également ceci de nouveau que les partis représentés au parlement militent pour la première fois pour que le futur président de la commission soit l'un de leurs candidats. Jusqu'ici, ce sont les chefs d'Etat qui proposent un nom qu'ils doivent soumettre pour approbation au parlement. Cette fois-ci, les députés ont clairement indiqué qu'ils ne donneraient leur aval qu'à un candidat à la commission suggérés par l'un des groupes politiques qui compose le parlement. Jean-Claude Juncker (PPE) et Martin Schulz (sociaux-démocrates), qui concentrent le plus de supporters à leur élection au poste de président de la commission, ont tous les deux soutenu les principes de protection des données privées adoptés par l'UE. Tous deux se sont également montrés très combatifs lors de la négociation de l'accord d'échange de données signé entre l'Europe et les Etats-Unis. « Je demanderai aux Etats-Unis qu'ils acceptent nos normes en matière de protection des données privées », avait déclaré Martin Schulz. Juncker avait indiqué quant à lui qu'il ne négocierait pas sur la protection des données privées : « Si une société a son siège dans la Silicon Valley et fait des affaires en Europe, alors les lois européennes doivent s'appliquer. » Toutefois, ni Martin Schultz ni Jean-Claude Juncker n'ont signé la charte WePromiseEU. Quoi qu'il en soit, celui qui deviendra président de la commission disposera d'un énorme pouvoir d'influence sur la législation européenne dans les années à venir.
La question se pose aussi de savoir quel député européen siégera à tel ou tel comité et dans quel mesure cela influera sur la politique de l'UE en matière de technologies. Outre la réforme du droit d'auteur, le parlement devra négocier une législation sur la protection des données personnelles et un paquet télécoms qui comprend les règles relatives au partage des charges liées à l'itinérance dans les pays de l'Union. Cela pourrait poser un défi aux avocats de la protection de la vie privée et aux partisan des coûts de roaming peu élevés, alors que beaucoup d'états membres, le Royaume-Uni en particulier, voudraient revenir sur les règles actuellement en vigueur.
Pour les acteurs de l'industrie, il est encore top tôt pour prédire ce qui se passera. « J'espère que le nouveau parlement continuera de se focaliser sur la protection des données privées et le paquet télécom», indique Afke Schaart, le directeur des relations institutionnelles avec l'UE chez Microsoft. « Les décisions que prendra le nouveau parlement sur des dossiers clés, telles que les règles européennes touchant à la protection des données privées et commerciales, détermineront si les technologies centrées sur le traitement des informations pourront devenir des gisements d'emploi et de croissance économique dans les pays de l'Union Européenne », indique Victoria Espinel, la président de la Business Software Alliance (BSA).
Les négociations sur l'attribution des sièges au sein des comités commenceront la semaine prochaine. En revanche, le choix d'un nouveau président de la commission par les états membres prendra certainement plus de temps.
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