Nvidia a vu le cours de son action grimper en flèche à la suite de la présentation des résultats de son premier trimestre 2024 (clos le 30 avril dernier) et de l'annonce de prévisions de ventes en hausse de 50 % pour les trois mois suivants. (Crédit photo : Nvidia)
Nvidia a fait évoluer l'usage de ses processeurs bien au-delà du marché de niche du jeu vidéo. Ses puces sont capables d'alimenter les modèles d'IA des entreprises, le métavers industriel et les voitures autonomes. Désormais, le fournisseur vise les applications d'IA générative dans le cloud.
Si la mutation de Nvidia d'accélérateur de jeux vidéo à facilitateur d'intelligence artificielle (IA) et du métavers industriel a pris du temps, il en a fallu beaucoup moins pour que la valorisation boursière du fabricant dépasse les mille milliards de dollars. C'est à la suite de la présentation des résultats de son premier trimestre 2024 (clos le 30 avril dernier), et de l'annonce de prévisions de ventes en hausse de 50 % pour les trois mois suivants, que l'entreprise a vu le cours de son action grimper en flèche. De quoi la catapulter dans le cercle très fermé dont font partie des géants de la tech tels qu'Alphabet, Amazon, Apple et Microsoft. Autrefois cantonné à un marché de niche, le fabricant américain de processeurs s'affichait alors comme la coqueluche de Wall Street.
Et même si l'irrationalité des investisseurs s'est estompée dans la même semaine, faisant rapidement sortir Nvidia du club où il venait d'entrer, celui-ci n'a pas tardé à revenir parmi les happy few. Mi-juin, la banque d'investissement Morgan Stanley prévoyait même que la valeur du titre Nvidia pourrait encore augmenter de 15 % avant la fin de l'année 2023.
À la fin août, Nvidia avait plus que justifié son optimisme initial en annonçant une augmentation de revenus de 88 % en glissement trimestriel pour la période de mai à juillet. Un bond permis par des ventes record de produits pour centres de données dépassant les 10 Md$, du fait d'une forte demande d'AWS, Google, Meta, Microsoft et Oracle. Sans surprise, le cours de l'action Nvidia a, lui aussi, continué à grimper, frôlant les 500 dollars prévus par Morgan Stanley. Contrairement à la plupart de ses confères du secteur technologique, dont le chiffre d'affaires s'élève à plusieurs milliards de dollars, Nvidia a moins de notoriété auprès des consommateurs, ce qui rend son ascension à Wall Street plus mystérieuse pour les quidams. L'histoire de Nvidia nous éclaire sur la manière dont l'entreprise a atteint cette valorisation - une histoire qui doit beaucoup à l'importance croissante des puces spécialisées pour les entreprises et à l'intérêt grandissant pour l'IA générative et ses promesses.
Le moteur graphique
Nvidia a démarré son activité de fabricant de semi-conducteurs sans usine en 1993, en se spécialisant dans la conception de puces d'accélération graphique pour les PC. Ses fondateurs avaient constaté que le rendu des graphiques 3D dans les jeux vidéo, un marché en pleine expansion à l'époque, demandaient aux CPU des calculs très répétitifs et gourmands en ressources. Ils ont réalisé que ces calculs pouvaient être effectués plus rapidement en parallèle par une puce dédiée plutôt qu'en série par l'unité centrale. C'est cette idée qui a conduit à la création des premières cartes graphiques Nvidia GeForce. Longtemps, le graphisme a été au coeur des activités de Nvidia. 30 ans plus tard, ses ventes de GPU pour les jeux, y compris la gamme GeForce, en font toujours le plus grand vendeur de cartes graphiques discrètes au monde. Au fil des années, il est apparu que les capacités de traitement parallèle des unités de traitement graphique de Nvidia pouvaient s'appliquer à d'autres usages et résoudre des problèmes dont la structure arithmétique matricielle était similaire à celle de la modélisation graphique en 3D.
Néanmoins, les développeurs de logiciels cherchant à exploiter les puces graphiques pour des applications non-graphiques devaient transformer leurs calculs pour pouvoir les envoyée aux GPU sous la forme d'une série d'instructions pour l'API graphique DirectX de Microsoft ou son équivalent à code source ouvert OpenGL. En 2006, Nvidia lève cette difficulté en lançant une nouvelle architecture de GPU baptisée CUDA (Compute Unified Device Architecture), directement programmable en C pour accélérer le traitement mathématique, ce qui simplifiait son utilisation dans le calcul parallèle. L'une des premières applications de CUDA a été la prospection pétrolière et gazière, pour traiter les montagnes de données issues des études géologiques. Le marché des GPGPU (General-Purpose Computing on Graphics Processing Units), c'est-à-dire des technologies utilisant un processeur graphique pour exécuter des calculs généraux à la place du processeur central, s'est réellement ouvert en 2009, quand l'éditeur d'OpenGL, Khronos Group, a publié Open Computing Language (OpenCL). Rapidement, les hyperscalers comme AWS ont ajouté des GPU à certaines de leurs instances de calcul, rendant ainsi la capacité évolutive des GPGPU disponible à la demande et facilitant l'accès de toutes les entreprises, où qu'elles soient, aux charges de travail intensives en calcul.
IA, minage de crypto-monnaies et métavers
Ces dernières années, l'IA ou, plus précisément, la nécessité d'effectuer des milliards de calculs répétitifs pour former des modèles d'apprentissage machine (ML), a été l'un des principaux moteurs de la demande de puces Nvidia. Certains d'entre eux sont véritablement gigantesques : par exemple, le modèle GPT-4 d'OpenAI aurait plus de 1 000 milliards de paramètres. Nvidia a été l'un des premiers à soutenir OpenAI, allant jusqu'à construire un module de calcul spécial, basé sur ses processeurs H100, pour accélérer l'entraînement des grands modèles de langage (LLM) que développait l'entreprise. Par ailleurs, le minage de cryptomonnaies, dont les calculs peuvent être effectués plus rapidement et de manière plus économe en énergie sur un GPU que sur un CPU, a représenté une autre source inattendue de demande pour les puces de Nvidia. Pendant des années, les achats de GPU pour le minage de cryptomonnaies ont même créé une pénurie de cartes graphiques, au point que les fabricants de GPU comme Nvidia ont été comparés aux vendeurs de pioches durant la ruée vers l'or en Californie. Alors que les premières puces de Nvidia ont servi à améliorer les jeux en 3D, l'industrie manufacturière s'est aussi intéressée aux simulations 3D. Et elle avait beaucoup plus d'argent que l'industrie du jeu vidéo. Au-delà des bibliothèques de code de rendu et d'accélération de base d'OpenGL et d'OpenCL, Nvidia a développé une plateforme logicielle appelée Omniverse, un métavers pour l'industrie capable de créer et de visualiser des jumeaux numériques de produits ou même des lignes de production entières en temps réel. L'imagerie obtenue peut aussi bien servir à des fins marketing qu'à des fins de collaboration sur de nouvelles conceptions et de nouveaux processus de fabrication.
Rester dans le club des géants des technologies
Nvidia progresse sur de nombreux fronts. Sur le plan matériel, l'entreprise continue de vendre des GPU pour les PC et certaines consoles de jeu, fournit des accélérateurs de calcul aux fabricants de serveurs, aux hyperscalers et aux fabricants de superordinateurs, et fabrique des puces pour les véhicules autonomes. Elle est également active dans le secteur des services, exploitant sa propre infrastructure cloud pour des entreprises pharmaceutiques, l'industrie manufacturière et d'autres secteurs. C'est aussi un fournisseur de logiciels, qui développe des bibliothèques de codes génériques que tout le monde peut utiliser pour accélérer les calculs sur le matériel Nvidia, ainsi que des outils plus spécifiques comme son paquet cuLitho pour optimiser l'étape de la lithographie dans la fabrication des semi-conducteurs. Mais l'intérêt suscité par les derniers outils d'IA comme ChatGPT (développé sur du matériel Nvidia), entre autres, stimule là encore la demande de matériel Nvidia et incite le fournisseur à développer de nouveaux logiciels pour aider les entreprises à développer et à former les grands modèles de langage (LLM) sur lesquels est basée l'IA générative.
Ces derniers mois, Nvidia s'est également associée à des fournisseurs de logiciels comme Adobe, Snowflake, ServiceNow, Hugging Face et VMware, afin de s'assurer que les éléments d'IA de leurs logiciels d'entreprise sont optimisés pour ses puces. « Du fait de notre échelle et de notre rapidité, nous pouvons soutenir cette pile vraiment complexe de logiciel et de matériel, de réseaux et de calculs pour ces différents modèles d'utilisation et environnements IT », avait déclaré le CEO Jensen Huang lors de la conférence téléphonique du 23 août consacrée aux derniers résultats financiers de l'entreprise. Nvidia a aussi présenté AI Foundations, un service d'IA générative maison, basé sur le cloud, qui peut faire office de guichet unique pour les entreprises qui pourraient manquer de ressources pour construire, affiner et exécuter des LLM personnalisés, formés sur leurs propres données, pour effectuer des tâches spécifiques à leur secteur d'activité. Annoncée en mars, cette initiative pourrait s'avérer judicieuse, étant donné l'intérêt croissant des entreprises pour l'IA générative. Elle place aussi le fabricant en concurrence directe avec les hyperscalers dont l'activité s'appuie également sur ses puces.
Accélérer les développements de l'industrie pharmaceutique
Les modèles Nvidia AI Foundations comprennent NeMo, un framework d'entreprise basé sur le cloud ; Picasso, une IA capable de générer des images, des vidéos et des applications 3D ; et BioNemo. Ce dernier traite des structures moléculaires, ce qui rend l'IA générative particulièrement intéressante pour accélérer le développement de médicaments, la mise sur le marché d'un nouveau traitement pouvant prendre jusqu'à 15 ans. Nvidia affirme que son matériel, ses logiciels et ses services peuvent réduire de plusieurs mois à quelques semaines les premières étapes de la découverte d'un médicament. Amgen et AstraZeneca font partie des entreprises pharmaceutiques qui tâtent le terrain. Les entreprises pharmaceutiques américaines dépensent à elles seules plus de 100 Md$ par an en R&D, soit plus de trois fois le chiffre d'affaires de Nvidia, et le potentiel de croissance est évident.
Si le développement pharmaceutique progresse rapidement, la voie vers l'adoption généralisée d'un autre marché cible de Nvidia est moins claire : les voitures autonomes sont « au coin de la rue » depuis des années, mais les tests et l'obtention de l'autorisation d'utilisation sur route s'avèrent encore plus complexes que l'homologation d'un nouveau médicament. Sur ce marché, Nvidia a deux options. La première consiste à construire et à faire fonctionner les mondes virtuels dans lesquels les algorithmes de conduite autonome sont testés sans mettre personne en danger. La seconde concerne les voitures elles-mêmes. Si les algorithmes sortent du monde virtuel et se retrouvent sur les routes, les voitures auront besoin des puces de Nvidia et de celles d'autres fabricants pour traiter l'imagerie en temps réel et effectuer la myriade de calculs nécessaires pour les maintenir sur la bonne trajectoire. Il s'agit du plus petit segment de marché que Nvidia présente dans ses résultats trimestriels : seulement 253 M$, soit 2 % du chiffre d'affaires global de l'entreprise, pour les trois mois se terminant le 30 juillet 2023. Mais c'est un segment qui fait plus que doubler de taille chaque année.
La part du jeu vidéo chute à moins de 20 %
Lors de la publication des résultats de son premier trimestre 2024, Nvidia a fait une prévision ambitieuse : son chiffre d'affaires pour le trimestre fiscal suivant, se terminant le 30 juillet, devait être supérieur de plus de 50 %. L'objectif a été largement dépassé avec 13,5 Md$ de revenus. La croissance des ventes de puces pour le jeu vidéo a également augmenté, de 22 % en glissement annuel et de 11 % en glissement trimestriel, ce qui serait impressionnant pour la plupart des entreprises d'électronique grand public, mais qui est loin derrière la croissance récente du plus grand marché de Nvidia : les centres de données. La part de son chiffre d'affaires global provenant des jeux est passée de plus d'un tiers au cours des trois mois précédant le 30 avril à un peu moins d'un cinquième au cours de la période précédant le 30 juillet. Néanmoins, Nvidia voit encore des opportunités à venir, car moins de la moitié de sa base installée est passée à des cartes graphiques dotées de la technologie Geforce RTX qu'elle a introduite en 2018, a déclaré la directrice financière Colette Kress lors de la conférence de présentation des résultats.
Jensen Huang et Colette Kress Kress ont tous deux parlé de la clarté avec laquelle Nvidia peut anticiper la demande future pour ses produits grand public et de centre de données, bien au-delà de l'année prochaine. « Le monde est en train de passer de l'informatique générale à l'informatique accélérée », a déclaré M. Huang. Avec environ 250 Md$ de dépenses d'investissement dans les centres de données chaque année, selon M. Huang, le marché potentiel de Nvidia est énorme au fur et à mesure que cette transition se déroule. « La demande est énorme », a-t-il déclaré, ajoutant que l'entreprise augmentait considérablement sa capacité de production afin d'accroître l'offre pour le reste de l'année et l'année prochaine.
Néanmoins, Mme Kress s'est montrée plus réservée en ce qui concerne ses prévisions pour les trois mois allant jusqu'au 30 octobre, déclarant qu'elle s'attendait à des recettes comprises entre 15,7 et 16,3 Md$, soit une croissance trimestrielle de 16 % à 21 %. Tous les regards seront tournés vers la prochaine annonce des résultats de l'entreprise, le 21 novembre.
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