Pour l'instant, Donald Trump n'a pas encore appuyé sur le bouton de la hausse des droits de douanes sur les produits importés d'Europe, mais cela ne saurait trop tarder. Rien d'étonnant, à voir l'acharnement du président américain à combler à grand coup de taxes le déficit commercial des Etats-Unis à l'échelle mondiale. Selon les données du département du Commerce américain publiées ce 5 février, le déficit avec l'Union européenne est estimé à 235 Md$ en 2024, dont 85 Md$ avec l'Allemagne 65 Md$ avec l'Irlande, 45 Md$ avec l'Italie et 15 Md$ avec la France. L'UE arrive derrière la Chine (295 Md$), mais devant le Mexique (172 Md$) et le Vietnam (123 Md$). "Avec l'Europe le gros du déficit commercial est dans l'industrie pharmaceutique avec 65 Md$, l'automobile avec 45 Md$, et les vins et spiritueux à 10 Md$. Mais sur l'électronique, les composants, les serveurs, les PC, les smartphones, les TV, les américains sont excédentaires à hauteur de 6 Md$", nous a expliqué Aurélien Duthoit, économiste sectoriel ICT chez l'assureur-crédit Coface. "Si Trump s'en prend à l'Europe pour une raison ou pour une autre, elle aura un moyen facile de répliquer en taxant les services américains en Irlande." Une destination qui ne doit rien au hasard puisque c'est là où sont installés les sièges européens des géants américains du numérique (Apple, AWS, Google, Meta et Microsoft) et c'est  depuis cet endroit que royalties et droits de licence sont reversés à leurs maisons-mères américaines.

850 M€ de produits et composants IT américains importés en France en 2024

Dans le cas où l'Europe inflige en mesure de rétorsion des hausses de droits de douane, elle pourrait très bien viser aussi des produits et composants informatiques. Selon nos calculs basés sur les chiffres des Douanes Françaises que nous avons passé au crible, sur l'année écoulée, les valeurs d'importations pour les ordinateurs et serveurs en provenance des Etats-Unis s'est élevée à plus de 350 M€. Une valeur qui atteint près de 850 M€ tous systèmes informatiques et composants confondus (mémoire, stockage, puces, écrans, cartes électroniques, circuits imprimés...) hors matériels de téléphonie.
 Une belle manne que l'Europe pourrait trouver intéressante à taxer davantage, bien que les effets pourraient cependant être limités en France. "A mon sens il n'y a pas de craintes à avoir et pas trop d'impacts dans l'immédiat sinon des coûts d'incertitudes pesant sur les trésoreries des entreprises qui peuvent vouloir accumuler des matériels informatiques et générer du surstockage dans leurs entrepôts", explique Aurélien Duthoit. "L'attentisme et l'absence de prise de décision peuvent déboucher sur des reports d'investissement. L'Europe va jouer la carte de l'apaisement et pourra de toute façon sourcer en Asie."

"On s'attendait à une guerre commerciale, il n'y a pas de surprise majeure pour les observateurs avisés", nous indique de son côté Stéphane Fermigier, fondateur et président d'Abilian et co-fondateur du CNLL. "Au final, je pense que la question de fond est la manière dont les entreprises et les gouvernements européens peuvent et doivent s'adapter à ce nouvel environnement [...] La question des droits de douane s'inscrit dans cette réflexion plus large, mais elle n'en est qu'un des aspects. Les récents et prévisibles développements nous obligent à repenser nos stratégies et à envisager des solutions qui garantissent la résilience et la compétitivité de l'Europe à long terme."

La hausse des droits de douanes, une arme à double tranchant

Alors que Donald Trump a finalement assoupli sa position avec le Canada et le Mexique en gelant pendant un mois son projet de hausse de 25 % des droits de douane, le président américain apparait quoi qu'il en soit bien décidé à tenir tête à la Chine en imposant à tous ses produits importés 10 % de droits de douane supplémentaires. Le locataire de la Maison Blanche a en effet indiqué n'être "pas pressé" de s'entretenir avec son homologue chinois Xi Jinping pour aborder ce sujet explosif. La réponse de ce dernier ne s'est pas fait attendre, avec le dépôt d'une plainte mardi 4 février auprès de l'Organisation mondiale du commerce "pour défendre ses droits légitimes." En mesure de rétorsion, la Chine a indiqué avoir de son côté imposé des droits de douane de 15 % sur les importations de charbon et de gaz naturel liquéfié, sachant qu'à partir du 10 février des taxes de 10 % sont prévues cette fois sur les machines agricoles, les grosses cylindrées et les pick-ups.

La décision de Donald Trump d'appliquer de façon aussi brutale une hausse des droits de douane sur les produits chinois entrant aux Etats-Unis apparait cependant à double tranchant. Si ce levier permet immédiatement d'imposer un nouvel ordre mondial sur les échanges commerciaux avec ses grands partenaires et générer au passage un excédent de trésorerie, elle pourrait aussi avoir un goût amer pour les Américains. En janvier dernier, la Consumer Technology Association (CTA) mettait déjà en garde sur les conséquences de hausses de prix des équipements technologiques, essentiellement importés depuis la Chine. Une inquiétude qui s'est répandue depuis au Conseil de l'industrie des technologies de l'information (ITIC), un puissant groupe de pression du secteur technologique américain qui a expressément demandé à l'administration Trump de
« viser des résultats clairs et constructifs dans ses négociations avec les gouvernements étrangers, d'éviter les restrictions commerciales et l'affaiblissement des liens économiques nord-américains dans la mesure du possible, et d'annuler les droits de douane lorsque des résultats sont obtenus. »

Le consommateur américain grand perdant de la hausse des droits de douane ?

Du côté des poids-lourds des PC comme HP, qui font fabriquer une part très importante de leur production d'ordinateurs en Chine
(Compal Electronics, Foxconn, Pegatron, Quanta Computer...), mais aussi au Mexique et dans une moindre mesure en République Tchèque, chez Foxconn près de Prague, on pense qu'il est possible d'encaisser le choc : "HP s'est préparé à plusieurs scénarios relatifs aux politiques tarifaires décidées par les US. Dès lors que ces politiques sont officielles, nos équipes mettent en place des plans d'action pour aider à minimiser l'impact pour nos clients et partenaires américains", nous a glissé une porte-parole de HP. Et HPE de nous indiquer de son côté : "En tant que leader du secteur technologique, HPE a construit une chaîne d'approvisionnement mondiale, diversifiée et résiliente qui nous donne la capacité de nous adapter aux changements des politiques commerciales. Nous travaillerons avec toutes nos parties prenantes pour minimiser l'impact sur nos clients, nos partenaires et HPE."

Patrick Moorhead, président de Moor Insights & Strategies, a fait savoir quant à lui à notre confrère NetworkWorld que les tarifs douaniers entraîneraient très probablement une augmentation des coûts d'AMD, de Nvidia, de Qualcomm, d'Apple, de Broadcom et de Marvell. "Ils essaieraient de répercuter cette hausse sur leurs clients tels que AWS, Microsoft, Google, Dell, HPE, HP, Cisco, Apple et Lenovo. Cela conduirait probablement à une augmentation du prix du produit final [...] Trump veut plus de puces de pointe fabriquées aux États-Unis. L'objectif est de créer des emplois et des recettes fiscales, mais aussi de limiter le risque d'une éventuelle invasion de Taïwan par la Chine. Les chaînes d'approvisionnement diversifiées sont efficaces et il pourrait être efficace d'inciter TSMC à investir dans la fabrication aux États-Unis par le biais de droits de douane. Je pense qu'Intel en retirera beaucoup d'avantages, car c'est elle qui réalise les plus gros investissements aux États-Unis", a-t-il déclaré. Bob O'Donnell, président et analyste en chef de TECHnalysis, partage ce sentiment : "En raison de cet impact négatif massif, je doute sérieusement que l'administration Trump les applique réellement. J'espère plutôt que nous verrons des encouragements à construire plus de puces aux États-Unis, mais c'est un processus qui s'étendra sur plusieurs années", a-t-il déclaré. Selon un rapport de Forrester, la mise en oeuvre des changements dans l'approvisionnement des États-Unis en puces prendra du temps. TSMC, à Taïwan, détient 61 % du marché mondial des semi-conducteurs et les États-Unis lui achètent 92 % de leurs puces de pointe.

"Le gros des échanges avec les Etats-Unis se fait se fait avec la Chine, le Vietnam et le Mexique pour les ordinateurs et à Taïwan pour les serveurs", indique Aurélien Duthoit. "La question est de savoir qui va payer : le producteur-exportateur en Chine au Vietnam ou au Mexique, ou l'importateur-grossiste, le détaillant ou le consommateur aux Etats-Unis. Il est question d'un rapport de force : s'il y a beaucoup de producteurs et peu de distributeurs il est à l'avantage de ces derniers, mais s'il y a beaucoup de distributeurs et peu de producteurs ces derniers peuvent vouloir préserver leurs marges. Sur le marché PC et de la distribution IT ce n'est pas la joie et c'est le consommateur qui pourrait bien payer au final car il résiste mieux au regard d'un taux de chômage toujours faible et de salaires qui progressent." Un tableau qui contraste lourdement avec la situation en Europe.